Курс французского языка в четырех томах
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- Собрание сочинений в четырех томах ~Том Стихотворения. Рассказы, 42.25kb.
suavités de L'Enfance du Christ jusqu'aux tonnerres d'outre-tombe du
Requiem...
UNE TOURNEE DE BERLIOZ EN EUROPE CENTRALE
Depuis le séjour de Bonn1, Berlioz est repris d'une fringale de voyages
et il tente d'organiser en hâte de futurs concerts en Autriche, en Hongrie, en
Bohême. Paris l'ennuie et le dévore. Il s'y use en de petites besognes
exténuantes. Aussi lorsqu'il peut reprendre son vol, vers la fin d'octobre
(1845), a-t-il le sentiment d'une délivrance. Et cette humeur joyeuse se
maintient jusqu'à Vienne, malgré la longueur d'un trajet qu'il faut
accomplir par eau ou sur des chemins de fer encore tout à fait primitifs.
«Oh! monsieur Berlioz, que vous est-il donc arrivé? s'écrie le douanier
autrichien à sa descente du bateau, depuis huit jours nous vous attendions
et nous étions fort inquiets de ne pas vous voir.» Cela ne donne-t-il pas la
mesure de la passion qu'ont les Viennois pour la musique? Est-ce qu'à Paris
un modeste fonctionnaire?.. Allons voilà qui est d'un heureux augure. Et la
série des concerts commence aussitôt dans ces salles illustres: le théâtre de
Kàrntner Thor; la salle du manège Impérial; le théâtre An der Wien, où
chante Jenny Lind; la grande salle des Redoutes où Beethoven, trente ans
auparavant, «faisait entendre ses chefs-d'œuvre adorés maintenant de toute
l'Europe et accueillis alors des Viennois avec le plus monstrueux dédain2».
Enthousiasme de Berlioz, respect, dévotion. Lorsqu'il monte au pupitre
(celui-là même qui servait à Beethoven pour diriger ses Symphonies), ses
jambes se dérobent sous lui. Voici l'emplacement du piano sur lequel
Beethoven improvisait; l'escalier par lequel il descendait de l'estrade, les
chaises du foyer où il demeurait assis au milieu de l'indifférence générale.
К SOus combien de Ponce Pilate ce Christ a-t-il ainsi été crucifié *!»
Et dans cette même salle des Redoutes, Berlioz assiste aux grands bals
de la Saison, regarde tourbillonner les valseurs sous la baguette de Johann
Strauss. Il loue ces rythmes contraires, ces divisions de la mesure et ces
accentuations syncopées de la mélodie dans une forme constamment
régulière et identique. Il fait la connaissance de tous les musiciens viennois
de renom et reçoit d'eux un bâton de mesure en vermeil, portant les noms
d'Artaria, de Bêcher, du prince Czartoriski, de Czerny, de Diabelli, d'Ernst,
de Hasiinger, etc. «Puisse ce bâton de mesure rappeler à votre souvenir la
ville où Gluck, Haydn, Mozart et Beethoven ont vécu et les amis de l'art
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musical qui s'unissent à moi pour crier: vive Berlioz!» Ainsi s'exprime le
baron de Lannoy au nom des donateurs. Et tout cela est dû presque
entièrement «à notre pauvre Fantastique*; la Scène aux Champs et la
Marche au Supplice ont retourné les entrailles autrichiennes; quant au Car-
naval et à la Marche des Pèlerins5, ce sont des morceaux populaires. On
fait maintenant ici jusqu'à des pâtés qui portent mon nom6». Ce qui, au
surplus, n'empêche nullement les critiques des spécialistes. Mais Berlioz
finit par en prendre l'habitude (bien qu'aucun artiste ne s'y résigne jamais
sans une certaine aigreur). Toutefois, si certains le traitent de toqué7, de
maniaque, d'excentrique, d'autres ne disent-ils pas: «Berlioz est une sorte
de levain spirituel qui met en fermentation tous les esprits... Berlioz est un
tremblement de terre musical!» Et cela compense tout le reste.
L'Empereur en personne assiste à l'un de ses concerts et lui fait remettre
un présent accompagné de ce compliment: «Dites à Berlioz que je me suis
bien amusé.» Mais le personnage qu'il voudrait voir surtout est le prince de
Metternich8, ce patron de la politique européenne, le manieur le plus habile
de la grande sèche aux yeux louches et au cœur dur9. Or, pour cela, il s'agit
de mobiliser un officier « lié avec un conseiller, qui parlerait à un membre
de la Chancellerie de la Cour assez puissant pour l'introduire auprès d'un
secrétaire d'ambassade, qui obtiendrait de l'ambassadeur qu'il voulût bien
parler à un ministre» afin qu'il présentât Berlioz. Coupant net à ce circuit et
bravant l'étiquette, le musicien s'achemine vers le palais du prince,
s'explique avec un officier de garde, présente sa carte, est reçu de la façon
la plus affable.
«Ah! c'est donc vous, monsieur, qui composez de la musique pour cinq
cents musiciens?»
Et l'impertinent de répondre:
«Pas toujours, monseigneur; j'en fais quelquefois pour quatre cent
cinquante.»
A Budapest, succès «ébouriffant» grâce à l'adjonction au programme de
la Marche hongroise (Rakoczy-marche). Un amateur viennois lui avait
donné le conseil d'orchestrer ce thème national hongrois, et, à la veille de
son départ pour Pest, Berlioz l'écrivit dans la nuit. Est-ce scrupuleusement
vrai? Peut-être. En tout cas le conseil était bon. Ecrit de verve, et
pressentant le retentissement qu'un tel morceau aurait sur le public
hongrois, si sensible, si ardemment national, il le plaça à la fin du concert.
Bien lui en prit10. Car après une sonnerie de trompettes annonçant le thème
exécuté piano par les flûtes et les clarinettes, l'auditoire fut aussitôt comme
parcouru d'un frissonnement d'attente. Mais quand, sur un long crescendo,
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des fragments fugues" du thème reparurent, entrecoupés de notes sourdes
de la grosse caisse simulant des coups de canon lointains, la salle se mit
à fermenter et, au moment où l'orchestre déchaîné dans une mêlée furieuse
lança son fortissimo si longtemps contenu, des cris, des trépignements
ébranlèrent la salle du haut en bas: «La fureur concentrée de toutes ces
âmes bouillonnantes fit explosion avec des accents qui me donnèrent le
frisson de la terreur; il me sembla sentir mes cheveux se hérisser et à partir
de cette fatale mesure je dus dire adieu à la péroraison de mon morceau, la
tempête de l'orchestre étant incapable de lutter contre l'éruption de ce
volcan dont rien ne pouvait arrêter les violences12.» Il fallut le bisser
aussitôt, le trisser même. Puis on se précipita de partout pour embrasser
l'auteur, l'étouffer. Un homme se jeta sur lui en balbutiant: «Ah! monsieur,
monsieur! Moi Hongrois... pauvre diable..., pas parler français... un poco
l'italiano... pardonnez... Ah! ai compris votre canon... Oui, oui la grande
bataille...» (...) Et se frappant la poitrine à grands coups de poing: «Dans le
cœur, moi... je vous porte... Ah! Français... révolutionnaires... savoir faire
la musique des révolutions.»... Lis/t lui-même connut-il dans son pays
natal pareil triomphe**?
GUY DE POURTALÈS. Berlioz et l'Europe romantique (1930).
Примечания:
1. Летом 1845 г. 2. Эти строки принадлежат Берлиозу. 3. Берлиоз упоминает здесь
"Фантастическую симфонию". "Сцена на полях" и "Шествие на казнь" являются наи-
более известными эпизодами из нее. 4. "Римского карнавала". 5. Из "Гарольда в Ита-
лии". 6. См. прим. 2. 7. Чудаком, тронутым (разг.). 8. Австрийский министр иностран-
ных дел, инициатор создания Священного союза 9. Меттерних был создателем кон-
цепции т.н. европейской политики. 10. Результаты этой идеи оказались весьма удачны
для него. 11. Трактованные, как фуга: различные партии на одну тему следуют друг за
другом и чередуются. 12. См. прим. 2.
Вопросы:
* Essayez défaire un rapprochement entre la musique de Berlioz et celle de Beethoven.
** Pourquoi l'auteur de La Damnation de Faust peut-il être regardé comme une grande
figure romantique?
QEORQES BIZET (1838 1875)
quand, en 1875, Georges Bizet fit représenter Carmen à l'Opéra-Comique, les
critiques lui reprochèrent d'avoir cédé à la mode du «wagnérisme». Ceux
d'aujourd'hui risqueraient plutôt d'être offusqués par l'excessive popularité de
l'ouvrage.
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C'est pour répondre à ce grief injuste que FRANÇOIS MAURIAC, d'une plume
vibrante, a pris la «défense de Carmen».
DÉFENSE DE CARMEN
Comme il existe une fausse délicatesse, il existe une fausse vulgarité.
Carmen est le type même de l'œuvre faussement vulgaire. C'est un piège
pour les esprits qui se croient distingués, un piège que tous les musiciens
éventent: je n'en connais aucun qui n'assigne à Carmen sa vraie place.
Mais il n'existe pas de chef-d'œuvre plus maltraité. Au Grand Théâtre
de Bordeaux, quand j'étais étudiant, à cause de l'accent terrible des «brunes
cigarières1» et des «petits soldats'», je croyais assister à des représentati
ons ridicules. Après tant d ' années, je découvre que Carmen était jouée là
comme elle doit l'être, dans une ivresse joyeuse, dans une odeur de jasmin
et d'abattoir, devant un peuple dressé, les dimanches d'été, à acclamer les
matadors étincelants lorsqu'ils roulaient vers les arènes, dans de vieilles
victorias2. Au deuxième acte, une toute jeune danseuse, RéginaBadet,
tournait sur une table de la «posada3», excitée par les claquements de
mains des figurants et du public.
Carmen nous était familière: avec ses accroche-cœurs4 luisants et ses
œillets, elle vendait des royans5 d'Arcachon, rue Sainte-Catherine6,
escortée de voyous frêles et redoutables. La scène prolongeait la rue:
Escamillo7, pour nous, s'appelait Guerita, Mazzantini, Reverte, Algabeno,
Fucutès, Bombita8, tous les diestros9 que nous adorions pendant la
«temporada ».
Et la gitane" avait bien le visage de cette passion contre laquelle nos
pieux maîtres nous avaient mis en garde au collège: la mauvaise femme, la
fille damnée pour qui les soldats désertent et deviennent assassins, le
prédicateur de la retraite de fin d'études nous en avait fait une peinture
véridique:
Vous -pouvez m'arrêter
C'est moi qui l'ai tuée,
Carmen, ma Carmen adorée l2!
A la sortie, je rêvais un instant sous le péristyle. Le vent d'Espagne
soulevait tristement la poussière des allées de Tourny; de larges gouttes
s'écrasaient sur les pavés.
Plein de ces souvenirs, j'avais dit à mes enfants: «II faut que vous
entendiez Carmen!» Nous partîmes donc, un samedi soir, pour l'Opéra-
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Comique. D'avance, je me faisais une fête de leur joie. Je leur avais décrit
ce premier acte fourmillant, cette place espagnole rongée de soleil, le corps
de garde avec les soldats à califourchon sur des chaises, la manufacture de
tabac, la garde montante et les gamins qui défilaient en chantant, et les
cigarières qui se crêpent le chignon13, et Carmen dépoitraillée, la chemise
déchirée, avec du sang sur son épaule de camélia14 Je leur prédisais
l'enthousiasme de la foule, tous les airs bissés par le poulailler15 en délire.
Quelle stupeur! Nous accablons la pauvre Comédie-Française, parce
que tout de même il nous arrive d'y aller quelquefois. Mais qui donc
a jamais eu l'idée de louer, un samedi soir, une loge à l'Opéra-Comique,
pour voir jouer Carmen? Un public inclassable; des Polytechniciens, aux
yeux aveugles derrière leurs binocles, des Saint-Cyriens16 sortant de l'œuf!
Aussi la troupe «ne s'en fait pas», comme on dit. L'ouverture est jouée au
petit bonheur, avec une morne résignation, comme dans un café de second
ordre. Le rideau se lève sur la place où personne ne passe'7 sur un plateau
lugubre, occupé par des fonctionnaires résolus à «en mettre le moins
possible» et qui, sans aucune bonne grâce, débitent leurs airs derrière la
grille d'un bureau de poste*.
Et pourtant, le vieux chef-d'œuvre, à la fin, demeurait le plus fort, galva-
nisait peu à peu ces employés somnolents. Le don José ventru qui avait
gueulé: «La fleur que tu m'avais jetée » retrouvait au dernier acte une
espèce de style.
En dépit des interprètes, l'enchantement renaissait enfin. Sublime
dernier acte de Carmen! Et d'abord, la musique sauvage, haletante, éveillait
dans mon sang cette fièvre que nous connaissions tous, d'avant la corrida,
l'attente d'un triste bonheur... Carmen, sous sa mantille neigeuse, au milieu
d'une palpitation d'éventails, avançait suspendue au bras d'Escamillo, et le
cou gonflé, chantait avec un roucoulement rauque: «Oui, je t'aime,
Escamillo.» Et tout à coup, dans la rumeur de cette fête, dans la poussière
dorée de ce beau jour, passait comme un souffle avant-coureur de la
foudre, la voix angoissée d'une amie: «Carmen, ne reste pas ici; il est là,
don José... il se cache... Prends garde!»
La musique de la «plaza19» se dissipe. L'homme se détache de la
muraille. Alors éclate la plainte éternelle: «Je ne menace pas, j'implore, je
supplie...» Et tout ce qui s'est toujours dit, dans tous les pays du monde,
sous tous les ciels, à ce tournant d'une passion: «J'oublie tout... Nous
recommencerons une autre vie...» Et cet avertissement monotone sans
cesse repris, cette petite vague désespérée qui bat, en vain, le cœur pétrifié
de la femme: «Carmen, il est temps encore... », et qui nous donne la
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sensation presque intolérable de la fatalité, et enfin ce sanglot: «Tu ne
m'aimes donc plus! » avec cette phrase déchirante des violons... Et toute la
suite, jusqu'au cri suprême de don José: il nous atteint au plus secret de
notre cœur, parce qu'il découvre brutalement une vérité insupportable,
connue de tous pourtant, mais qu'il faut tenir cachée, si on veut supporter
de vivre: «L'amour, dont la guerre est le moyen, écrit Nietzsche à propos de
Carmen, dont la haine mortelle des sexes est la base**...»
FRANÇOIS MAURIAC. Journal, tome II (1937).
Примечания:
1. Персонажи оперы. 2. Крытые экипажи, которые ввела в моду королева Викто-
рия. 3. Харчевня (исп.). 4. Завитки на висках и на лбу. 5. Разновидность сардин.
6. Торговая улица в Бордо. 7. Имя тореадора, соперника Хозе. 8. Имена знаменитых
матадоров. 9. Мастера тавромахии (исп.). 10. Коррида (исп.). II. Кармен. 12. Слова
Хозе в финале оперы. 13. Таскают друг друга за волосы (рак.) 14. Белого, как каме-
лия, цвета 15. Галерка (букв, курятник, а также нашест, на котором спят куры).
16. Политехническая школа и Сен-Сир — главные высшие военные учебные заведе-
ния во Франции. 17. Ироническое истолкование постановки и исполнения оперы.
18. Знаменитая ария. — Gueuler: кричать во все горло, вопить. 19. Площадь, арена,
где происходит коррида.
Вопросы:
* Éludiea l'art de la satire et même de la charge dans ce paragraphe.
** Pourquoi Nietzsche aimait-il tellement la musique de Georges Bizet? — Pourquoi le
romancier Mauriac s'intéresse-t-il ainsi à la passion de don José?
CLAUDE DEBUSSY (1862-1918)
On sait l'épitaphe que souhaitait et qu'a obtenue l'auteur de Pelléas et
Me'lisande: «Claude Debussy, musicien français». Et certes, il y a un peu de
provocation dans cette formule: il s'agit, jusqu'au tombeau, de faire pièce à la
tyrannie wagnérienne.
Mais l'œuvre de Debussy est assez originale pour n'avoir besoin de s'opposer
à celle de personne. Ses vrais titres de gloire, elle les trouve dans les
harmonies si neuves qui évoquent les caprices bondissants du Faune dans le
fameux Prélude, ou les jeux aériens du soleil et du vent sur La Mer, ou les
formes élastiques et changeantes des Nuages dans le ciel. Et puis, et surtout, il
y a l'enchantement subtil et tragique de Pelléas...
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PRESTIGES DE PELLÉAS...
Toute la fin de Pelléas est un continu chef-d'œuvre. Quoi de plus beau
que les merveilleux accords, où se suivent les yeux innocents de Mélisande
jusque dans le plus sombre délire de son bourreau, ces doubles quintes où
passent on ne sait quels anges du ciel? Seul Parsifal a cette profondeur de
musique et ce sens du mystère; il faut toujours juger d'une musique sur le
philtre qu'elle nous verse et sur le génie qu'elle a d'exprimer l'inexprimable.
La musique n'illustre pas un texte: elle le transpose dans un autre ordre:
elle le prend à l'intelligence pour l'élever à la connaissance amoureuse de
l'émotion. Et comme la poésie ne prétend pas moins faire avec les moyens
qui lui sont propres, telle est la guerre du grand poète et du grand musicien
au théâtre: un grand poème se suffit, la musique le gâte*. Pour le grand
musicien, le seul poème qui lui convienne est celui où la musique peut
mettre la grande poésie qui n'y est point.
Quand les pauvres amants osent enfin s'avouer leur amour, au seuil de
la mort, répondant à l'ivresse de Pelléas, le murmure de Mélisande, presque
imperceptible, presque morne, sur une seule note, forme un aveu sublime.
Et l'adorable sourire de la mélodie: Je suis heureux, mais je suis triste, est
à la fois d'une profondeur et d'une délicatesse qu'on n'a jamais trouvées
ensemble ni jamais égalées. Presque partout, la simplicité des moyens le
dispute au raffinement. Il n'est musique près de celle-là qui ne semble ou
un peu vide ou au contraire trop grossière.
Le charme de l'expression sonore, la beauté d'un orchestre où le génie
des timbres fait régner une incomparable unité, la perfection de la phrase
vocale, tout concourt à masquer la puissance. L'œuvre paraît simple et
facile à force d'art. Parce qu'elle est sans clameur et sans cri, parce qu'elle
ne fait jamais de bruit, on pourrait la croire sans baleine. Enfin elle semble
se jouer dans la demi-teinte, parce qu'elle possède la maîtrise des valeurs et
du clair-obscur. Rien n'est si faux. Il est nécessaire, au théâtre ou dans la
chambre' sur le clavier ou à l'orchestre, d'exprimer avec un soin jaloux
toutes les nuances de cette musique: on s'étonne alors de tout ce qu'elle
recèle: on perçoit, à la juste échelle de l'ensemble, la puissance des éclats,
du tragique et de la passion, comme on sent déjà le charme extrême de la
tendresse et les séductions de la mélancolie. Le dédain de Debussy pour
l'effet est sans parallèle2. Pour moi, eût-il commis des crimes, Debussy est
par là d'une sainte vertu: depuis la Renaissance, il n'y a que Bach pour la
partager avec lui3. Il finit presque toutes les scènes et tous les actes de son
drame dans une sorte de silence inimitable, qui est précisément la
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palpitation profonde de l'émotion: elle prend fin, à la lettre, comme on
meurt, comme on s'évanouit, soit de douleur, soit de plaisir. Près de ce
soupir, tout cri est faible. Toute explosion manque de force et d'écho près
de ce frémissement. Et on ne comprend rien à Debussy, tant qu'on ne l'a
pas saisi dans cet ébranlement secret de l'ardeur la plus intime**.
ANDRÉ SUARÈS. Debussy (1922).
Примечания:
1. Имеется в виду камерная музыка. 2. Единственным в своем роде. 3. «Et, pour être
juste, assez souvent Moussorgski.» (Note de l'auteur.)
\
Вопросы:
* «Un grand poème se suffit, la musique le gâte.» — Êtes-vous de cet avis? Connaissez-
vous dt grands poètes qui ont accepté ou même souhaité de voir ta musique ilhistier leurs
csuwes)
** L'auteur n'a-t-il pas cherché un style souvent proche de celui du musicien?
LE GROUPE DES SIX
de même que l'auteur de Pelléas et Mélisande avait moins réagi contre
Wagner que contre le wagnérisme, les musiciens de la génération suivante
furent moins les adversaires de Debussy que du debussysme. Aussi fut-ce
surtout far une réaction bien naturelle et -pour souligner leur indépendance
que les plus marquants d'entre eux furent amenés à se réunir pour former ce
qu'on a appelé depuis «le Groupe des Six».
ENTRETIEN AVEC FRANCIS POULENC (né en 1899)
On trouvera ici un extrait des Entretiens qu'en 1952 le critique musical Claude Rostand
eut, à la Radio, avec le compositeur Francis Poulenc.
CLAUDE ROSTAND. — Comment avez-vous connu vos camarades du
Groupe des Six?
FRANCIS POULENC. — Avec une rare logique, j'ai connu d'abord celui
qui est devenu depuis mon frère spirituel: j'ai nommé Georges Auric. Nous
avons exactement le même âge, je suis son aîné d'à peine un mois, mais,
intellectuellement, je me suis toujours senti son cadet.
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La précocité d'Auric était telle, dans tous les domaines, qu'à quatorze
ans on le jouait à la Société Nationale de Musique. A quinze, il discutait
sociologie avec Léon Bloy, théologie avec Maritain, et à dix-sept ans,
Apollinaire lui lisait les Mamelles de Tirésias1 en lui demandant son avis.
Vinès", avec son intelligence d'insecte, comprit tout de suite que nous
étions faits l'un pour l'autre, et il y avait tout juste deux mois que je prenais
mes leçons de piano avec lui, qu'il me présenta à Georges Aude. Ceci se
passait en 1916, si j'ai bonne mémoire.
Auric habitait alors à Montmartre, derrière le Sacré-Cœur, rue Lamarck.
Je revois avec émotion les moindres détails de sa chambre. Sur un
piano, rarement accordé, au toucher capricieux, une montagne de musique
s'accumulait, qui témoignait d'un parfait éclectisme, allant des
polyphonistes du XVIe siècle aux opérettes de Messager, en passant par le
Pierrot lunaire d'Arnold Schônberg et l'Allégro Barbara de Bartok...
Tout dans la vie a contribué à nous faire vivre parallèlement, Auric et
moi: nous avons créé les Noces de Strawinsky ensemble. Nous avons fait
partie tous deux de l'équipe de Diaghiiew3, nous nous sommes partagé
l'affection d'un Paul Eluard, et que sais-je encore!..
CLAUDE ROSTAND. — En effet, ce que vous dites est très frappant. Du
moins, j'ai toujours été frappé, en assistant à une conversation entre Auric
et vous, par cette sorte de complicité secrète qui existe entre vous deux, et
dans laquelle il semble impossible de s'introduire... Mais après Auric?..
FRANCIS POULENC. — Le second des Su; que j'ai connu, c'est Arthur
Honegger, en 1917, chez Jeanne Bathori...
Chère grande Jeanne Bathori, que n'a-t-elle pas fait pour la musique
moderne! Première interprète de Debussy, Ravel, Fauré, Roussel, Satie,
Milhaud, et de tant d'autres, elle réunissait dans son atelier du boulevard
Pereire les jeunes musiciens désireux de se rencontrer ou de se connaître.
André Caplet4, récemment revenu du front, dirigeait parfois, chez elle,
une étrange chorale où l'on voyait, parmi les basses, mes deux maîtres,
Ricardo Vinès et Charles Kœchlin5, et, dans je ne sais plus quel emploi:
Honegger et moi-même. Il s'agissait de chanter les Trois Chansons
a capella6 de Ravel, encore inédites.
Le résultat n'était pas. brillant, mais la bonne volonté y était.
Les premières fois, Honegger m'intimida malgré ce bon sourire
d'accueil si jovial qu'il a toujours gardé, mais je ne tardai pas à me
familiariser avec lui et tout alla au mieux lorsque je le vis dans Le Jeu de
Rotin et de Marion, monté par Bathori au Vieux-Colombier7, déguisé en
tambourinaire par son ami le peintre Ochsé. Une douée jeune fille au
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visage préraphaélique l'accompagnait toujours. Cette douce jeune fille, si
modestement savante, est devenue, depuis lors, son épouse. J'ai toujours
conservé pour elle une tendre affection...
CLAUDE ROSTAND. — Et ensuite?
FRANCIS POULENC. — A la même époque, j'ai connu Germaine
Tailleferre et Louis Durey. Qu'elle était ravissante en 7977 notre Germaine,
avec son cartable d'écolière plein de tous les premiers prix du
Conservatoire8! Qu'elle était gentille et douée! Elle l'est toujours, mais je
regrette un peu que, par excès de modestie, elle n'ait pas sorti d'elle-même
tout ce qu'une Marie Laurencin9 par exemple a su tirer de son génie
féminin...
Louis Durey, le loyal Durey, qui, par je ne sais quel scrupule, se sépara
de nous au moment où Les Mariés de la Tour Eiffel 'Consacraient, d'une
façon éphémère, notre groupe arbitraire, Louis Durey, le silencieux Durey,
est l'image même de la modestie et de la noblesse. Je lui dédiai mes
premières mélodies. Le Bestiaire ", que j'avais composé, sans le savoir, en
même temps que le sien. J'aimerais qu'on voie, dans ce sensible hommage,
la tendre estime dans laquelle je l'ai toujours tenu.
CLAUDE ROSTAND. — Et Milhaud, notre Darius, qu'attendez-vous pour
en parler?
FRANCIS POULENC. — Soyez patient: j'ai adopté l'ordre chronologique,
et n'oubliez pas qu'au début, Milhaud ne faisait que virtuellement partie de
notre groupe puisque, en 1917, il était encore au Brésil avec Paul Claudel...
Lorsqu'il en revint, j'eus littéralement le coup de foudre, ce qui est aussi
valable en amitié qu'en amour. Qu'il était séduisant, ce robuste
Méditerranéen, appuyé sur une fine canne de rhinocéros, habillé de gris
clair, avec des cravates fraise et citron! Qu'il était amusant avec ses
histoires des tropiques, et que c'était délicieux de l'entendre jouer, avec ce
toucher adorablement négligent, ses albums de voyage: Saudades do Brazil
ou Le Bœuf sur le Toit!..
Avec les années, j'admire de plus en plus l'œuvre de Milhaud. Qu'il est
loin le temps où j'écrivais à Sauguet une lettre injuste et sotte sur La
Création du Monde, lettre que le cher Darius eut l'indiscrétion de lire, un
jour où elle tramait sur la table de Sauguet1 !
En réentendant, l'hiver passé. La Création, j'en admirais, au contraire, la
beauté sans rides, sans tics d'époque.
CLAUDE ROSTAND. — Maintenant que vous avez nommé les «Six»,
parlez-nous donc du Groupe des Six.
FRANCIS POULENC. — Six musiciens ayant été plusieurs fois réunis, par
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la grâce de Jeanne Bathori au Vieux-Colombier et de Félix Delgrange
à Lyre et Palette, Henri Collet, critique de Comœdia", nous baptisa les six
Français, à l'instar des cinq Russes fameux14. Le slogan était facile mais, la
jeunesse étant friande de publicité, nous acceptâmes une étiquette qui, au
fond, ne signifiait pas grand-chose. La diversité de nos musiques, de nos
goûts et dégoûts, démentait une esthétique commune. Quoi de plus opposé
que les musiques d'Honegger et d'Auric? Milhaud admirait Magnard'15 moi
pas; nous n'aimions ni l'un ni l'autre Florent Schmitt16 qu'Honeggei
respectait; Arthur, par contre, méprisait, au fond de lui-même, Satie17,
qu'Auric, Milhaud et moi adorions... On voit du coup que le Groupe des
Six n'était pas un groupe esthétique, mais une simple association amicale*.
FRANCIS POULENC. Entretiens avec Claude Rostand (1952).
Примечания:
1. Положенные на музыку Эриком Сати. 2. Рикардо Виньес, знаменитый испан-
ский пианист, большой друг Дебюсси. 3. Сергея Дягилева, прославленного руководи-
теля русского балета. 4. Автор, в частности, "Зеркала Иисуса". 5. Композитор и теоре-
• тик музыки. 6. То есть без музыкального сопровождения. 7. Театр в Париже, основан
в 1913 г. Жаком Копо. 8. Высшая школа музыки и декламации. 9. Знаменитая худож-
ница (1885 -1956). 10. Текст Жана Кокто. 11. На стихи Аполлинера. 12. Анри Соге.
один из самых популярных композиторов той эпохи. 13. Газета, посвященная искус-
ству. 14. Римский-Корсаков, Мусоргский, Балакирев, Бородин и Цезарь Кюи
15. Автора "Геркёра". 16. Автора "Трагедии о Саломее" 17. Эрика Сати, автора, в
частности, "Парада", "реалистического балета" на сюжет Жана Кокто.
Вопросы:
* Qu'est-ce qui fait intérêt principal de ce texte?