Курс французского языка в четырех томах

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Содержание


Racine (1639-1699)
PHÈDRE, à
Marivaux (1688-1763)
Le jeu de l'amour et du hasard (1730)
Le barbier de séville (1775)
Figaro. —
La «première» d'hernani
Victor Hugo raconté -par un témoin de sa vie.
Alfred de musset
Henry becque
Les corbeaux
Madame vigneron
Madame vigneron
Madame vigneron
Paul claudel
Partage de midi (1905)
Jean giraudoux
La guerre de troie n'aura pas lieu (1935)
JULES ROMAINS (né en 1885)
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de ce qui s'est passé durant son absence. Il s'adresse à Dorme, sa servante.

ORGON

Tout s'est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte?

Qu'est-ce qu'on fait céans'? Comme2 est-ce qu'on s'y porte?

DORINE

Madame1 eut, avant-hier, la fièvre jusqu'au soir,
Avec un mal de tête étrange à concevoir.

ORGON

Et Tartuffe4?

DORINE

Tartuffe? il se porte à merveille,
Gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille.

ORGON
Le pauvre homme!

DORINE

Le soir elle eut un grand dégoût
Et ne put au souper toucher à rien du tout,
Tant sa douleur de tête était encor cruelle.

352

ORGON
Et Tartuffe?

DORINE

II soupa, lui tout seul, devant elle,
Et fort dévotement il mangea deux perdrix
Avec une moitié de gigot en hachis.

ORGON
Le pauvre homme!

DORINE

La nuit se passa tout entière
Sans qu'elle pût fermer un moment la paupière;
Des chaleurs5 l'empêchaient de pouvoir sommeiller,
Et jusqu'au jour près d'elle il nous fallut veiller.

ORGON
Et Tartuffe?

DORINE

Pressé d'un sommeil agréable,
II passa dans sa chambre au sortir de la table,
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Où sans trouble il dormit jusques au lendemain.

ORGON
Le pauvre homme! \

DORINE

A la fin, par nos raisons gagnée,
Elle se résolut à souffrir la saignée6,
Et le soulagement suivit tout aussitôt.

ORGON
Et Tartuffe?

DORINE

II reprit courage comme il faut,
Et contre tous les
maux fortifiant son âme,

353

Pour réparer le sang qu'avait perdu madame,
But, à son déjeuner, quatre grands coups de vin.

ORGON
Le pauvre homme !

DORINE

Tous deux se portent bien enfin;
Et je vais à madame annoncer par avance
La part que vous prenez à sa convalescence*.

Acte I, se. IV.
Примечания:

1. Ici. 2. Comment. 3. Эльмира, жена Оргона 4 Святоша, вторгшийся в дом Оргона
и живущий там нахлебником . 5. Приступы горячки, жар. 6. Кровопускание. В XVII в
кровопускание было широко распространенным средством чуть ли не от всех болез-
ней.

Вопросы:

* Définir les différents éléments dont est fait ici le comique. Marquer, en particulier, et
les
contrastes et le rythme sur lesquels repose la scène.

RACINE (1639-1699)

des tragiques français, RACINE est celui qui s'estavancé le plus loin dans la
connaissance du cœur humain. Il est aussi celui qui a su le mieux allier aux
exigences de la scène les charmes de la Poésie.


Quels que soient les mérites (TAndromaque (1667), de Britannicus (1660), de
Bêrenice (1670), de Bajazet (1672), et même de Mithridate (1673) ou
d'iphigénie (1674), c'est dans Phèdre (1677) que le génie racinien s'est épanoui
le plus complètement. H n'est pas de tragédie, en effet, où l'amour atteigne un
pareil degré de violence, d'excès, de déraison: et pourtant, jusqu'en sa fureur,
il s'y exprime dans une forme d'une simplicité et d'une limpidité qui défient
l'analyse.


PHÈDRE

Consumée par la passion criminelle qu'elle porte à son beau-fils, Hippolyte, Phèdre a
décidé de mourir. Mais soudain, elle apprend ta mort de son mari Thésée, père d'Hippolyte.
Reprenant alors courage, elle fait venir le jeune homme pour lui avouer son amour.


354

PHÈDRE, à Œnone'

Le voici. Vers mon cœur tout mon sang se retire.
J'oublie, en le voyant, ce que je viens lui dire2.

ŒNONE
Souvenez-vous d'un fils qui n'espère qu'en vous.

PHÈDRE

On dit qu'un prompt départ3 vous éloigne de nous,

Seigneur. A vos douleurs je viens joindre mes larmes.

Je vous viens pour un fils expliquer4 mes alarmes.

Mon fils n'a plus de père: et le jour n'est pas loin

Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.

Déjà mille ennemis5 attaquent son enfance.

Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense.

Mais un secret remords agite mes esprits6. Je crains d'avoir

fermé votre oreille à ses cris. Je tremble que sur lui votre juste

colère Ne poursuive bientôt une odieuse mère7.

HIPPOLYTE
Madame, je n'ai point des sentiments si bas.

PHÈDRE

Quand vous me haïriez, je ne m'en plaindrais pas,

Seigneur. Vous m'avez vue attachée8 à vous nuire;

Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire.

A votre inimitié j'ai pris soin de m'offrir9.

Aux bords que j'habitais je n'ai pu vous souffrir.

En public, en secret, contre vous déclarée,

J'ai voulu par des mers en10 être séparée;

J'ai même défendu, par une expresse loi,

Qu'on osât prononcer votre nom devant moi.

Si pourtant à l'offense on mesure la peine,

Si la haine peut seule attirer votre haine,

Jamais femme ne fut plus digne de pitié,

Et moins digne, Seigneur, de votre inimitié.

355

HIPPOLYTE

Des droits de ses enfants une mère jalouse
Pardonne rarement au fils d'une autre épouse".
Madame, je le sais. Les soupçons importuns12
Sont d'un second hymen11 les fruits les plus communs.
Toute autre aurait pour moi pris les mêmes ombrages14
Et j'en aurais peut-être essuyé plus d'outrages.

PHÈDRE

Ah! Seigneur, que le Ciel, j'ose ici l'attester15,
De cette loi commune a voulu m'excepter!
Qu'un soin16 bien différent me trouble et me dévore!

HIPPOLYTE

Madame, il n'est pas temps de vous troubler encore.

Peut-être votre époux voit encore le jour;

Le Ciel peut à nos pleurs accorder son retour17.

Neptune le protège, et ce dieu tutélaire

Ne sera pas en vain imploré par mon père.

PHÈDRE

On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur. Puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu'un dieu vous le renvoie;
Et l'avare Achéron18 ne lâche point sa proie.
Que dis-je? Il n'est point mort, puisqu'il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux.
Je le vois, je lui parle; et mon cœur... Je m'égare,
Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare.

HIPPOLYTE

Je vois de votre amour l'effet prodigieux.
Tout mort qu'il est, Thésée est présent à vos yeux;
Toujours de son amour votre âme est embrasée.

PHÈDRE

Oui, Prince, je languis19, je brûle pour Thésée.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,

356

Volage adorateur de mille objets20 divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche21;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi22,
Tel qu'on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi23.
Il avait votre port24, vos yeux, votre langage,
Cette noble pudeur colorait son visage
Lorsque de notre Crète25 il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos26.
Que faisiez-vous alors? Pourquoi, sans Hippolyte,
Des héros de la Grèce assembla-t-il l'élite?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords?
Par vous aurait péri le monstre de la Crète27
Malgré tous les détours de sa vaste retraite28.
Pour en développer l'embarras incertain29,
Ma sœur30 du fil fatal31 eût armé votre main.
Mais non, dans ce dessein je l'aurais devancée:
L'amour m'en32 eût d'abord33 inspiré la pensée.
C'est moi, Prince, c'est moi dont l'utile secours
Vous eût du Labyrinthe enseigné les détours,
Que de soins m'eût coûtés cette tète34 charmante!
Un fil n'eût point assez rassuré votre amante35.
Compagne du péril qu'il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j'aurais voulu marcher;
Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue**.

HIPPOLYTE

Dieux! qu'est-ce que j'entends? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père, et qu'il est votre époux?

PHÈDRE

Et sur quoi jugez-vous que j'en perds la mémoire,
Prince? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire36?

HIPPOLYTE

Madame, pardonnez. J'avoue, en rougissant,
Que j'accusais à tort un discours innocent.

357

Ma honte ne peut plus soutenir votre vue;
Et je vais...

PHÈDRE

Ah! cruel, tu m'as trop entendue37.
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.
Hé bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur.
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison.
Objet infortuné des vengeances célestes38,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang;
Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire39 le cœur d'une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé40;
J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine;
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité41 mes inutiles soins?
Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que dis-je? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire?
Tremblante pour un fils que je n'osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr.
Faibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime!
Hélas! je ne t'ai pu parler que de toi-même.
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour.
Digne fils du héros42 qui t'a donné le jour,
Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte!
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper.
Voilà mon cœur. C'est là que ta main doit frapper.

358

Impatient déjà d'expier son offense43,
Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance.
Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m'envie44 un supplice si doux,
Ou si45 d'un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée***.
Donne46.

Acte II, se. V.

Примечания:

1. Кормилица и наперсница Федры. 2. Она собралась говорить с Ипполитом о сво-
ем сыне, которого родила от Тезея и за судьбу которого опасается, после того как
стало известно о смерти царя Тезея. 3. Ипполит готовится к отъезду в Афины, чтобы
занять трон, освободившийся после смерти его отца Тезея. 4 Изложить, представить.
5. Т.е. сторонники Ипполита. Они хотят видеть царем Ипполита, а не сына Федры,
который находится еще в младенческом возрасте. 6. Телесные субстанции, которые в
психологии XVII в. считались определяющими чувства. Букв чувства. 7. Федра, маче-
ха Ипполита, опасается неприязни пасынка, изгнания которого она недавно добилась.
8. Вы видели, что я упорно вам вредить стараюсь. 9. Подвергнуть себя вашей враж-
дебности. 10. En: de vous. 11. Этот стих является непосредственной цитатой из Эври-
пида. 12. Докучные, неотвязные. 13. Брак: Слово происходит от имени бога-
покровителя брака Гименея. 14. Такие же подозрения. 15. Взять в свидетели. 16 Тре-
вога, беспокойство. 17. Возвращение Тезея. о котором действительно будет объявлено
в следующей сцене. 18. Одна из рек, протекающих в Аиде, царстве мертвых. 19. Я
изнываю от любви к нему. 20. Предметов любви (на галантном языке XVII века —
возлюбленных). 21. По мифу, Тезей сошел в Аид, чтобы похитить Прозерпину, жену
Плутона, владыки царства мертвых. 22. Archaïque. Nous dirions aujourd'hui: après lui.
23. Старая орфография. 24. Осанку. 25. Тезей плавал на остров Крит, где убил Мино-
тавра. 26. Миноса, царя Крита, отца Ариадны и Федры. 27. Минотавра. 28. Лабиринта.
29. Чтобы не дать ему заблудиться 30. Ариадна. Она дала Тезею клубок ниток, разма-
тывая который, он отмечал свой путь в Лабиринте и смог выйти из него, 31. Нить, от
которой зависела жизнь героя. 32. En: снабдить вашу руку этой нитью.... 33. Tout de
suite. 34. Лицо, облик. 35. В классическом значении: та, что любит и любима *36. Чес-
ти, репутации. 37. Ты слишком ясно дал мне понять. 38. Намек на месть, которой Аф-
родита преследовала семейство Федры после того, как сын бога Солнца Гелиос, пре-
док героини трагедии, сообщил Гефесту, мужу Афродиты, что она изменяет ему с
богом войны Ареем. 39. Совратить с правильного пути. 40. Федра действительно по-
требовала от Тезея изгнать Ипполита (см, начало сцены). 41. Какую пользу принесли
мне... 42. Тезея. 43. Обиду, которую это сердце тебе нанесло. 44. Отказывает. 45. Или
же, если тебе недостаточно... 46. С этими словами Федра вырывает меч из руки Иппо-
лита.

359

Вопросы:

* Par quelles étapes successives Phèdre préfare-t-elle l'aveu de son arnoM?

** De quoi est faite la poésie de ce passage? On en étudiera plus particulièrement, lu
couleur mythologique.

*** Comment s'exprime la lucidité du personnage dans ce passage? Quel sentiment
l'emporte dans votre esprit:
l'horreur ou la pitié?

MARIVAUX (1688-1763)

tandis que Regnard et Lesage s'efforçaient d'imiter Molière, MARIVAUX, lui,
eut le mérite de chercher un chemin qui lui fût. propre. Il s'appliqua presque
uniquement à l'étude de l'amour, mais de l'amour naissant, avec ce que cette
éclosion suppose d'émois, de surprises, de complications. Autant qu'à Racine,
il fait penser à Corneille, parfois si subtil et quasi précieux. En fait, le
marivaudage, qui désigne à la fois un style quelque peu affecté et une façon
alambiquée de concevoir l'amour, apparaît bien comme une résurgence de la
préciosité.


Mais à côté de cette sorte d'alchimie, il y a place chez Marivaux pour
desscènes vives et gaies, écrites d'une plume exquise.


LE JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD (1730)

Silvia et Dorante sont destinés à s'épouser. Mais curieux de se mieux connaître, ils ont,
chacun de son côté, imaginé de se travestir, elle, en servante, lui, en valet Et ils sont fort
étonnés de découvrir, lui, que la servante est bien folie, et elle, que le valet ne manque ni
d'esprit ni de distinction.


SILVIA (à part)*. — Ce garçon-ci n'est pas sot, et je ne plains pas la sou-
brette1 qui l'aura. Il va m'en conter; laissons-le dire pourvu qu'il m'instruise.

DORANTE (àpart). — Cette fille-ci m'étonne! Il n'y a point de femme au
monde à qui sa physionomie ne fît2 honneur: lions connaissance avec elle...
(Haut.) Puisque nous sommes dans le style amical, et que nous avons
abjuré les façons, dis-moi, Lisette, ta maîtresse te vaut-elle? Elle est bien
hardie d'oser avoir une femme de chambre comme toi.

SILVIA. — Bourguignon cette question-là m'annonce que, suivant la
coutume, tu arrives avec l'intention de me dire des douceurs: n'est-il pas
vrai?

360

DORANTE. — Ma foi, ]'e n'étais pas venu dans ce dessein-là, je te
l'avoue. Tout valet que je suis, je n'ai jamais eu de grandes liaisons avec les.
soubrettes: je n'aime pas l'esprit domestique; mais, à ton égard, c'est une
autre affaire. Comment donc! tu me soumets, je suis presque timide: ma
familiarité n'oserait s'apprivoiser avec toi; j'ai toujours envie d'ôter mon
chapeau de dessus ma tête; et, quand je te tutoie, il me semble que je jure4,
enfin, j'ai un penchant à te traiter avec des respects qui te feraient rire.
Quelle espèce de suivante es-tu donc, avec ton air de princesse?

SILVIA. — Tiens, tout ce que tu dis avoir senti en me voyant est
précisément l'histoire de tous les valets qui m'ont vue.

DORANTE. — Ma foi, je ne serais pas surpris quand ce serait aussi
l'histoire de tous les maîtres.

SILVIA. — Le trait est joli assurément; mais je te le répète encore. Je ne
suis pas faite aux cajoleries de ceux dont la garde-robe ressemble à la
tienne.

DORANTE. — C'est-à-dire que ma parure ne te plaît pas.
silvia. — Non, Bourguignon, laissons là l'amour et soyons bons amis.
DORANTE. — Rien que cela? ton petit traité n'est composé que de deux
clauses impossibles.

SILVIA (à part). — Quel homme, pour un valet! (Haut.) Il faut pourtant
qu'il s'exécute; on m'a prédit que je n'épouserais jamais qu'un homme de
condition6, et j'ai juré depuis de n'en écouter jamais d'autre.

DORANTE. — Parbleu! cela est plaisant: ce que tu as juré pour homme,
je l'ai juré pour femme, moi, j'ai fait le serment de n'aimer sérieusement
qu'une fille de condition.

silvia. — Ne fécarte donc pas de ton projet.

DORANTE. — Je ne m'en écarte peut-être pas tant que nous le croyons:
tu as l'air bien distingué; et l'on est quelquefois fille de condition sans le
savoir.

SILVIA (riant). — Ah! Ah! Ah! Je te remercierais de ton éloge si ma
mère n'en faisait pas les frais.

DORANTE. — Eh bien! venge-t'en sur la mienne, si tu me trouves assez
bonne mine pour cela.

361

SILVIA (à fart). — II le mériterait. (Haut.) Mais ce n'est pas là de quoi il
est question: trêve de badinage; c'est un homme de condition qui m'est
prédit pour époux, et je n'en rabattrai rien.

DORANTE. — Parbleu! si j'étais tel, la prédiction me menacerait; j'aurais
peur de la vérifier. Je n'ai pas de foi à l'astrologie; mais j'en ai beaucoup
à ton visage.

SILVIA (à fart). — II ne tarit point... (Haut.) Finiras-tu? Que t'importe la
prédiction, puisqu'elle t'exclut?

DORANTE. — Elle n'a pas prédit que je ne t'aimerais point.

SILVIA. — Non: mais elle a dit que tu ne gagnerais rien; et moi, je te le
confirme.

DORANTE. — Tu fais fort bien, Lisette; cette fierté-là te va à merveille;
et, quoiqu'elle me fasse mon procès, je suis pourtant bien aise de te la voir;
je te l'ai souhaitée d'abord que7 je t'ai vue: il te fallait encore cette grâce-là;
et je me console d'y perdre parce que tu y gagnes.

SILVIA (à fart). — Mais, en vérité, voilà un garçon qui me surprend,
malgré que j'en aie8 (Haut.) Dis-moi: qui es-tu, toi qui me parles ainsi?

DORANTE. — Le fils d'honnêtes gens qui n'étaient pas riches.

SILVIA. — Va, je te souhaite de bon cœur une meilleure situation que la
tienne, et je voudrais pouvoir y contribuer: la fortune a tort avec toi.

DORANTE. — Ma foi! l'amour a plus de tort qu'elle: j'aimerais mieux
qu'il me fût permis de te demander ton cœur que d'avoir tous les biens du
monde.

silvia (à part). — Nous voilà, grâce au Ciel, en conversation réglée9.
(Haut.) Bourguignon, je ne saurais me fâcher des discours que tu me tiens;
mais, je t'en prie, changeons d'entretien; venons à ton maître. Tu peux te
passer de me parier d'amour, je pense.

DORANTE. — Tu pourrais bien te passer de m'en faire sentir, toi.

SILVIA. — Ah! je me fâcherai; tu m'impatientes. Encore une fois, laisse
là ton amour.

DORANTE. — Quitte dont ta figure.

SILVIA (à part). — A la fin, je crois qu'il m'amuse... (Haut.) Eh bieh!

362

Sour-guignon, tu ne veux donc pas finir? Faudra-t-il que je te quitte?
(A part.) Je devrais déjà l'avoir fait.

DORANTE. — Attends, Lisette; je voulais moi-même te parler d'autre
chose; mais je ne sais plus ce que c'est...

SILVIA. — J'avais de mon côté quelque chose à te dire, mais tu m'as fait
perdre mes idées aussi, à moi.

DORANTE. — Je me rappelle de10 t'avoir demandé si ta maîtresse te
valait.

SILVIA.— Tu reviens à ton chemin par un détour: adieu.

DORANTE. — Eh! non, te dis-je, Lisette; il ne s'agit que de mon maître.

SILVIA. — Eh bien! soit: je voulais te parler de lui aussi, et j'espère que
tu voudras bien me dire confidemment ce qu'il est. Ton attachement pour
lui m'en donne bonne opinion: il faut qu'il ait du mérite, puisque tu le sers.

DORANTE. — Tu me permettras peut-être bien de te remercier de ce que
tu me dis là, par exemple?

silvia. —Veux-tu bien ne prendre pas garde à l'imprudence que j'ai eue
de le dire?

DORANTE. — Voilà encore de ces réponses qui m'emportent". Fais
comme tu voudras, je n'y résiste point; et je suis bien malheureux de me
trouver arrêté par tout ce qu'il y a de plus aimable au monde.

SILVIA. — Et moi, je voudrais bien savoir comment il se lait que j'ai la
bonté de fécouter; car assurément cela est singulier.

DORANTE. — Tu as raison; notre aventure est unique.

SILVIA (a part). — Malgré tout ce qu'il m'a dit, je ne suis point partie, je
ne pars point, me voilà encore, et je réponds! En vérité cela passe la
raillerie12. (Haut.) Adieu.

DORANTE. — Achevons ce que nous voulions dire.

SILVIA. — Adieu, te dis-je; plus de quartier11. Quand ton maître sera
venu, je tâcherai, en faveur de ma maîtresse, de le connaître par moi-même,
s'il en vaut la peine*.

Acte I, se. VII.
363

Примечания:

1. Субретка — служанка, горничная. 2. Ne pourrait faire honneur (valeur
conditionnelle du subjonctif imparfait.)- 3. Фамилию, под которой укрылся Дорант
4. Будто я тебя оскорбляю. 5. Из двух условий. 6. Благородного происхождения.
7. Dès que. 8. Вопреки мне (si mauvais gré que j'en aie). 9. Разговор, приличествующий
людям одного круга. 10. Tour incorrect, se rappeler se construisant sans préposition
11. От которых я теряю хладнокровие. 12. Переходит границы шутки. 13. Букв, ника-
кой пощады, прощения не будет.

Вопросы:

* On étudiera à quelle nuance psychologique correspond chacun des apartés de la
scène.


** D'après cet extrait du Jeu de l'Amour et du Hasard, on essaiera de définir ces détours
amoureux qu'on appelle marivaudage. — On marquera aussi les rapports qui peuvent
exister entre la
poésie et une certaine forme d'esprit.

BEAUMARCHAIS (1732-1799)

MOINS homme de lettres qu'homme d'affaires, BEAUMARCHAIS a pourtant laissé
un nom important dans l'histoire du théâtre français. Il a écrit deux comédies
dont la verve spirituelle et le mouvement endiablé n'ont nullement vieilli; et il a
créé, avec le personnage de Figaro, un type immortel pour l'ingéniosité dont le
fameux barbier fait preuve en toute' circonstance comme pour la hardiesse des
opinions qu'il exprime: nous sommes
il faut toujours nous en souvenir
à la veille de la Révolution.

LE BARBIER DE SÉVILLE (1775)
FIGARO. — Je ne me trompe point; c'est le comte Airnaviva1.
LE COMTE. —Je crois que c'est ce coquin de Figaro.
FIGARO. — C'est lui-même, monseigneur.
LE COMTE. — Maraud! si tu dis un mot...

FIGARO.— Oui, je vous reconnais; voilà les bontés familières dont vous
m'avez toujours honoré.

LE COMTE. — Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras.
364

FIGARO —Que voulez-vous, monsieur, c'est là,' 'misère.

LE COMTE. — Pauvre petit! Mais que fais-tu à'Séville? je t'avais
autrefois recommandé dans leà bureaux pour un emploi.

FIGARO. — Je l'ai obtenu, monseigneur; et ma reconnaissance...

LE COMTE. — Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement,
que je veux être inconnu?

FIGARO. — Je me retire.

LE COMTE. — Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes
qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promène. Ayons l'air de
jaser. Eh bien, cet emploi?

FIGARO. — Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre
Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire.

LE COMTE. —Dans les hôpitaux de l'armée?
FIGARO. — Non; dans les haras2 d'Andalousie.
: LE COMTE, riant. — Beau début!

FIGARO. — Le poste n'était pas mauvais parce qu'ayant le district des
pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes
médecines de cheval ...

LE COMTE. — Qui tuaient les sujets du roi!

FIGARO. — Ah! ah! il n'y a point de remède universel; mais qui n'ont pas
laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats4

LE COMTE. — Pourquoi donc l'as-tu quitté?

FIGARO.— Quitté? C'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des puis-
sances. «L'envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide...»

LE COMTE. — Oh! grâce! grâce, ami! Est-ce que tu fais aussi desvers? Je
t'ai vu là griffonnant5 sur ton genou, et chantant dès le matin.

FIGARO. — Voilà précisément la cause de mon malheur. Excellence.
Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment,
des bouquets à Chloris6; que j'envoyais des énigmes7 aux journaux, qu'il
courait des madrigaux8 de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étais
imprimé tout vif9, il a pris la chose au tragique et m'a fait ôter mon emploi,

365

sous prétexte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des
affaires.

LE COMTE. — Puissamment raisonné! Et tu ne lui fis pas représenter...

FIGARO. — Je me crus trop heureux d'en être oublié, persuadé qu'un'
grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

LE COMTE. — Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu
étais un assez mauvais sujet.

FIGARO. —Eh! mon Dieu, monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre
soit sans défaut.

LE COMTE. — Paresseux, dérangé...

FIGARO. — Aux vertus qu'on exige dans un domestique. Votre Excel-
lence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets?
LE COMTE, riant. — Pas mal. Et tu t'es retiré en cette ville?
FIGARO. — Non, pas tout de suite.

LE COMTE, l'arrêtant. — Un moment... j'ai cru que c'était elle10... Dis
toujours, je t'entends de reste".

FIGARO. — De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes
talents littéraires; et le théâtre me parut un champ d'honneur...

LE COMTE. — Ah ! miséricorde!

FIGARO. — (Pendant sa réplique, le comte regarde avec attention du
côté de la jalousie
n.) En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus
grand succès, car j'avais rempli le parterre des plus excellents
travailleurs13; des mains... comme des battoirs; j'avais interdit les gants, les
cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds; et
d'honneur, avant la pièce, le café14 m'avait paru dans les meilleures
dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale15...

LE COMTE. — Ah! la cabale! monsieur l'auteur tombé!..

FIGARO. — Tout comme un autre: pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si
jamais je puis les rassembler...

LE COMTE. — L'ennui te vengera bien d'eux?
figaro. — Ah! comme je leur en garde16, morbleu!

366

LE COMTE. — Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au
palais pour maudire ses juges?

FIGARO. — On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour
user un pareil ressentiment.

LE COMTE. —Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui
t'a fait quitter Madrid.

FIGARO. — C'est mon bon ange. Excellence, puisque je suis assez
heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la
république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre
les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit,
tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les
maringouins17, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout
ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevaient de
déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatigué d'écrire,
ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d'argent; à la
fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs
de la plume, j'ai quitté Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant
philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-
Morena, l'Andalousie; accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et
partout supérieur aux événements; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là;
aidant au bon temps; supportant le mauvais; me moquant des sots, bravant
les méchants; riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde — vous
me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre
Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner*.

LE COMTE. — Qui t'a donné une philosophie aussi gaie?
FIGARO. — L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur
d'être obligé d'en pleurer**.

Acte 1, sc.ïï
Примечания:

1. Граф Альмавива переоделся студентом, чтобы иметь возможность оказаться по-
ближе к Розине, в которую он влюблен. Под ее окном он сталкивается с цирюльником
Фигаро. 2. На конных заводах. 3. Сильнодействующие лекарства, а также лошадиные
дозы. 4. Ходячая французская шутка об овернцах, которые считаются людьми креп-
кими и грубыми. 5. Торопливо пишущим. 6. Клорида — одно из женских имен, упот-

367

реблявшихся в галантной поэзии. 7. Загадки. 8 Небольшие комплиментарные стихо.
творения. 9. Что печатался при жизни. 10. Розина, в которую он влюблен
11 D'ailleurs, du reste, впрочем 12 Жалюзи. 13 Имеются в виду клакеры, которые за
деньги поддерживали аплодисментами автора и пьес) 14. Кофейни. В ту эпоху ко-
фейня была местом, где собирались литераторы. 15. Шайки, клики, г.е тех, кго хотет
бы провалить пьесу 16. Il leur en garde de la rancune — затаил злобу 17 Разновид-
ность комаров. Здесь имеет место игра слов: Mann — королевский цензор, которого
недолюбливал Бомарше.

Вопросы:

* Relever les traits de satire sociale contenus dans ce morceau.

** En quoi le comique de Beaumarchais diffère-t-û lie celui de Molière et de celui de
Marivaux?

LA «PREMIÈRE» D'HERNANI (1830)

RlEN que la pièce d'Hernani contienne, far elle-même, des beautés estimables
encore aujourd'hui, on ne lui accorderait certainement pas une place de cette
importance dans l'histoire du théâtre français, si, lors de la première
représentation, elle n'avait donné lieu à une «bataille» aussi bruyante que
spectaculaire. En fait, elle permit aux partisans et aux ennemis du romantisme
de se départager en deux factions résolument opposées, dont le parti était pris
avant même que le drame eût été joué...


A relire les savoureuses relations qui nous ont été laissées de cette « première»
mémorable, on s'apercevra, en tout cas, que la nouvelle école ne manquait pas
de pittoresques défenseurs.


Pour bien combiner leur plan stratégique et bien assurer leur ordre de
bataille, les jeunes gens' demandèrent à entrer dans la salle avant le public.
On le leur permit, à condition qu'ils seraient entrés avant qu'on ne fît
queue. On leur donna jusqu'à trois heures. C'eût été bien si on les avait
laissés monter, comme faisaient les claqueurs2, par la petite porte de
l'obscur passage maintenant supprimé. Mais le théâtre, qui apparemment ne
désirait pas les cacher, leur assigna la porte de la rue Beaujolais, qui était la
porte royale; de crainte d'arriver trop tard, les jeunes bataillons arrivèrent
trop tôt, la porte n'était pas ouverte, et dès une heure les innombrables
passants de la rue Richelieu virent s'accumuler une bande d'êtres
farouches et bizarres, barbus, chevelus, habillés de toutes les façons,

368

excepté à la mode, en vareuse, en manteau espagnol, en gilet à la Robes-
pierre, en toque à la Henri III, ayant tous les siècles et tous les pays sur les
épaules et sur la tête, en plein Paris, en plein midi. Les bourgeois
s'arrêtaient stupéfaits et indignés. M. Théophile Gautier surtout insultait les
yeux par un gilet de satin écarlate et par l'épaisse chevelure qui lui
descendait jusqu'aux reins.

La porte ne s'ouvrait pas; les tribus4 gênaient la circulation, ce qui leur
était fort indifférent, mais une chose faillit leur faire perdre patience. L'art
classique ne put voir tranquillement ces hordes de barbares qui allaient
envahir son asile; il ramassa toutes les balayures et toutes les ordures du
théâtre, et les jeta des combles sur les assiégeants. M. de Balzac reçut pour
sa part un trognon de chou. Le premier mouvement fut de se fâcher; c'était
peut-être ce qu'avait espéré l'art classique; le tumulte aurait amené la police
qui aurait saisi les perturbateurs, et les perturbateurs auraient été
naturellement bien lapidés. Les jeunes gens sentirent que le moindre
prétexte serait bon, et ne le donnèrent pas.

La porte s'ouvrit à trois heures et se referma. Seuls dans la salle, ils
s'organisèrent. Les places réglées, il n'était encore que trois heures et
demie; que faire jusqu'à sept? On causa, on chanta, mais la conversation et
les chants s'épuisent. Heureusement qu'on était venu trop tôt pour avoir
dîné, alors on avait apporté des cervelas, des saucissons, du jambon, du
pain, etc. On dîna donc, les banquettes servirent de tables et les mouchoirs
de serviettes. Comme on n'avait que cela à faire, on dîna si longtemps qu'on
était encore à table quand le public entra. A la vue de ce restaurant, les
locataires des loges se demandèrent s'ils rêvaient. En même temps, leur
odorat était offensé par l'ail des saucissons*.

Mme VICTOR HUGO. Victor Hugo raconté -par un témoin de sa vie.

Примечания:

1. Романтики, пришедшие поддержать пьесу Виктора Гюго 2. Клакеры, которым
платили, чтобы они аплодировали пьесе. 3 На которой тогда находился Театр-
Франсез. 4. Имеются в виду "молодые дикари", пришедшие поддержать пьесу.

Вопросы:

* Déterminez les éléments à la fois pittoresques et réalistes contenus dans cette page.
Montrez que la
bonne humeur n'en est pas exclue.

369

ALFRED DE MUSSET (1810-1857)

après l'échec de La Nuit vénitienne (1830), MUSSET, alors tout juste âge de
vingt ans, tourna le dos à la scène. Il n'en continua -pas moins d'écrire de;,
pièces, soit en les rassemblant sous le titre un peu désabusé de Spectacle dans
un Fauteuil (1832), soit en les publiant dans la Revue des Deux Mondes ou Le
Constitutionnel, mais sans penser, semble-t-il, qu'elles pussent être un jour
représentées. Or, par un curieux paradoxe, de tout le ttléâtre'romantique, c'est
celui de Musset qui est resté le plus vivant et qui, aujourd'hui encore, est joué
le plus volontiers.


C'est que l'écrivain, plutôt que de prétendre réaliser d'ambitieuses formule:,,
écoutait la voix de son cœur. Un cœur déchiré, écartelé entre un pessimisme
foncier et une ironie prompte à découvrir le ridicule des choses. Dans nombre
de ses pièces, Musset s'est d'ailleurs dédoublé sous la forme d'un héros dévoré
de tristesse, tel qu'est Fantasia, et d'un personnage de franc bon sens, tel qu'est
son ami Spark...


FANTASIO(1834)
SPARK. — Tu me fais l'effet d'être revenu de tout.

FANTASIO. — Ah ! pour être revenu de tout, mon ami, il faut être allé
dans bien des endroits.

SPARK. — Eh bien, donc?

FANTASIO. — Eh bien, donc! où veux-tu 'que j'aille? Regarde cette
vieille ville enfumée; il n'y a pas de places, de rues, de ruelles où je n'aie
traîné ces talons usés, pas de maisons où je ne sache quelle est la fille ou la
vieille femme dont la tête stupide se dessine éternellement à la fenêtre; je
ne saurais faire un pas sans marcher sur mes pas d'hier; eh bien, mon cher
ami, cette ville n'est rien auprès de ma cervelle. Tous les recoins m'en sont
cent fois plus connus; toutes les rues, tous les trous de mon imagination
sont cent fois plus fatigués; je m'y suis promené en cent fois plus de sens,
dans cette cervelle délabrée, moi son seul habitant! Je m'y suis grisé dans
tous les cabarets; je m'y suis roulé comme un roi absolu dans un carrosse'
doré; j'y ai trotté en bon bourgeois sur une mule pacifique, et je n'ose
seulement pas y entrer comme un voleur, une lanterne sourde à la main.

SPARK. — Je ne comprends rien à ce travail perpétuel sur toi-même.
Moi, quand je fume, par exemple, ma pensée se fait fumée de tabac; quand
je bois, elle se fait vin d'Espagne ou bière de Flandre; quand je baise la

370

main de ma maîtresse, elle entre par le bout de ses doigts effilés pour se
répandre dans tout son être sur des courants électriques; il me faut le
parfum d'une fleur pour me distraire, et de tout ce que renferme
l'universelle nature, le plus chétif objet suffit pour me changer en abeille et
me faire voltiger ça et là avec un plaisir toujours nouveau.

FANTASIO. — Tranchons le mot2 tu es capable de pêcher à la ligne?
SPARK. — Si cela m'amuse, je suis capable de tout.
FANTASIO. — Même de prendre la lune avec les dents ?
SPARK. — Cela ne m'amuserait pas.

FANTASIO. — Ah, ah! qu'en sais-tu? Prendre la lune avec les dents n'est
pas à dédaigner. Allons jouer au trente et quarante4.

SPARK. — Non, en vérité.

FANTASIO. — Pourquoi?

SPARK. — Parce que nous perdrions notre argent.

FANTASIO. — Ah! mon Dieu! qu'est-ce que tu vas imaginer là! Tu ne
sais quoi inventer pour te torturer l'esprit. Tu vois donc tout en noir,
misérable? Perdre notre argent! Tu n'as donc dans le cœur ni foi en Dieu, ni
espérance? Tu es donc un athée épouvantable, capable de me dessécher le
cœur et de me désabuser de tout, moi qui suis plein de sève et de jeunesse?

(Il se met à danser.)

SPARK. — En vérité, il y a de certains moments où je ne jurerais pas que
tu n'es pas rou*.

Acte I, se. II.

Примечания:

1. То есть пьесы, которые читают, сидя в кресле 2. Поговорим откровенно.
3. Даже на невозможное? 4. Карточная игра.

Вопросы:

* Cherchez dans la vie et l'oeuvre de Musset ce qui y rappelle Fantasio et ce qui y
rappelle
Spark.

371

HENRY BECQUE (1837-1899)

DES auteurs dramatiques de la fin du XIXe siècle, HENRY BECQUE, à qui l'on
doifLes Corbeaux (1882) et La Parisienne (1885) est sans doute le plus
moderne. Renonçant aux artifices (ou, comme on dit, aux «ficelles») du métier,
chers à tant de ses contemporains, il compte avant tout sur son sens de
l'observation psychologique et sur la simplicité nue de son dialogue pour
émouvoir le spectateur.


LES CORBEAUX (1882)

La famille Vigneron vivait heureuse, quand le père, industriel aisé, est mort brusquement
Du jour au lendemain la situation a changé: les hommes d'affaires, pareils à des «corbeaux»,
se sont arraché les biens de Mme Vigneron et de ses filles. C'est alors que l'une d'elles, Marie.
se voit proposer d'épouser Teissier, l'ancien associé de son peYe, qui est vieux, mais riche, et,
par là, capable de tirer d'embarras la mère et les sœurs de la leune fille.


BOURDON1

...Vous avez entendu, mademoiselle, ce que je viens de dire à votre
mère. Faites-moi autant de questions que vous voudrez, mais abordons,
n'est-ce pas, la seule qui soit véritablement importante, la question d'argent.
Je vous écoute.

MARIE
Non, parlez vous-même.

BOURDON
Je suis ici pour vous entendre et pour vous conseiller.

MARIE
II me serait pénible de m'appesantir là-dessus.

BOURDON, souriant.

Bah! vous désirez peut-être savoir quelle est exactement, à un sou près,
la fortune de M. Teissier?

MARIE
Je la trouve suffisante, sans la connaître.

BOURDON

Vous avez raison. Teissier est riche, très riche, plus riche, le sournois"
qu'il n'en convient lui-même. Allez donc, mademoiselle, je vous attends.

372

MARIE

M. Teissier vous a fait part sans doute de ses intentions?

BOURDON
Oui, mais je voudrais connaître aussi les vôtres. Il est toujours

intéressant pour nous de voir se débattre les parties3.

MARIE

N'augmentez pas mon embarras. Si ce mariage doit se faire, j'aimerais
mieux en courir la chance plutôt que de poser des conditions.

BOURDON, souriant toujours.

Vraiment! (Marie le regarde fixement.) Je ne mets pas en doute vos
scrupules, mademoiselle; quand on veut bien nous en montrer, nous
sommes tenus de les croire sincères. Teissier se doute bien cependant que
vous ne l'épouserez pas pour ses beaux yeux. Il est donc tout disposé déjà à
vous constituer un douaire4; mais ce douaire, je m'empresse de vous le dire,
ne suffirait pas. Vous faites un marché, n'est-il pas vrai, ou bien, si ce mot
vous blesse, vous faites une spéculation; elle doit porter tous ses fruits. Il
est donc juste, et c'est ce qui arrivera, que Teissier, en vous épousant, vous
reconnaisse commune en biens5, ce qui veut dire que la moitié de sa
fortune, sans rétractation6 et sans contestation possibles, vous reviendra
après sa mort. Vous n'aurez plus que des vœux à faire pour ne pas l'attendre
trop longtemps*. (Se retournant vers Mme Vigneron.) Vous avez entendu,
madame, ce que je viens de dire à votre fille?

MADAME VIGNERON
J'ai entendu.

BOURDON
Que pensez-vous?

MADAME VIGNERON

Je pense, monsieur Bourdon, si vous voulez le savoir, que plutôt que de
promettre à ma fille la fortune de M. Teissier, vous auriez mieux fait de lui
conserver celle de son père.

BOURDON

Vous ne sortez pas de là, vous, madame. (Revenant à Marie.) Eh bien!
mademoiselle, vous connaissez maintenant les avantages immenses qui
vous seraient réservés dans un avenir très prochain; je cherche ce que vous

373

pourriez opposer encore, je ne le trouve pas. Quelques objections de
sentiment peut-être? Je parle, n'est-ce pas, à une jeune fille raisonnable,
bien élevée, qui n'a pas de papillons7 dans la tête. Vous devez savoir que
l'amour n'existe pas; je ne l'ai jamais rencontré pour ma part. Il n'y a que
des affaires en ce monde; le mariage en est une comme toutes les autres;
celle qui se présente aujourd'hui pour vous, vous ne la retrouveriez pas une
seconde fois.

MARIE

M. Teissier, dans les conversations qu'il a eues avec vous, a-t-il parlé de
ma famille?

BOURDON
De votre famille? Non. (Bas.) Est-ce qu'elle exigerait quelque chose?

MARIE
M. Teissier doit savoir que jamais je ne consentirais à me séparer d'elle

BOURDON

Pourquoi vous en séparerait-il? Vos sœurs sont charmantes, madame
votre mère est une personne très agréable. Teissier a tout intérêt d'ailleurs
à ne pas laisser sans entourage une jeune femme qui aura bien des
moments inoccupés. Préparez-vous, mademoiselle, à ce qui me reste à vous
dire. Teissier m'a accompagné jusqu'ici; il est en bas, il attend une réponse
qui doit être cette fois définitive; vous risqueriez vous-même en la
différant. C'est donc un oui ou un non que je vous demande.

Silence.

MADAME VIGNERON

En voilà assez, monsieur Bourdon. J'ai bien voulu que vous appreniez
à ma fille les propositions qui lui étaient faites, mais si elle doit les
accepter, ça la regarde, je n'entends pas que ce soit par surprise, dans un
moment de faiblesse ou d'émotion. Au surplus, je me réserve, vous devez
bien le penser, d'avoir un entretien avec elle où je lui dirai de ces choses
qui seraient déplacées en votre présence, mais qu'une mère, seule avec son
enfant, peut et doit lui apprendre dans certains cas. Je n'ai pas, je vous
l'avoue, une fille de vingt ans, pleine de cœur et pleine de santé, pour la
donner à un vieillard.

BOURDON
A qui la donnerez-vous? On dirait, madame, à vous entendre, que vous

374

avez des gendres plein vos poches et que vos filles n'auront que l'embarras
du choix. Pourquoi le mariage8 de l'une d'elles, mariage qui paraissait bien
conclu, celui-là, a-t-il manqué? Faute d'argent. C'est qu'en effet, madame,
faute d'argent, les jeunes filles restent jeunes filles.

MADAME VIGNERON

Vous vous trompez. Je n'avais rien et mon mari non plus. Il m'a épousée
cependant et nous avons été très heureux.

BOURDON

Vous avez eu quatre enfants, c'est vrai. Si votre mari, madame, était
encore de ce monde, il serait pour la première fois peut-être en désaccord
avec vous. C'est avec effroi qu'il envisagerait la situation de ses filles,
situation, quoi que vous en pensiez, difficile et périlleuse. Il estimerait à
son prix la proposition de M. Teissier, imparfaite, sans doute, mais plus
qu'acceptable, rassurante pour le présent (regardant Marie), éblouissante
pour l'avenir. On ne risque rien, je le sais, en faisant parler les morts, mais
le père de mademoiselle, avec un cœur excellent comme le vôtre, avait de
plus l'expérience qui vous fait défaut. Il connaissait la vie; sa pensée
aujourd'hui serait celle-ci: j'ai vécu pour ma famille, je suis mort pour elle,
ma fille peut bien lui sacrifier quelques années.

MARIE, les larmes aux yeux.
Dites à M. Teissier que j'accepte*.

Acte IV, se. VI.

Примечания:

1. Нотариус семьи Виньерон и одновременно эмиссар Тесье. 2. Замкнутый, скрыт-
ный человек. В устах персонажа эта характеристика звучит достаточно лукаво. 3. Тя-
жущиеся стороны в судебном процессе 4. Вклад, который муж делает в пользу жены
на тот случай, если он умрет раньше ее 5 Имеется в виду брак, заключенный на ос-
нове общности имущества, когда половина его принадлежит мужу, а вторая половина
— жене 6. То есть без необходимости возвращать его по условиям брачного контрак-
та. 7. Образное выражение, соответствующее русскому "тараканы в голове". 8. Свадь-
ба Бланш не состоялась по настоянию матери жениха

Вопросы:

* Comment s'exprime, dans cette scène, le cynisme du personnagaf

** Étudiez les divers arguments employés par Bourdon pour parvenir à setfîps-

375

PAUL CLAUDEL (1868-1954)

il serait vain de vouloir dissocier en PAUL CLAUDEL le poète et le dramaturge.
Tous les deux expriment une même vision de l'univers: une vision catholique
au sens total du terme, c'est-à-dire à la fois cosmique et chrétienne.
De toutes les pièces où s'exprime cette fusion de la terre et du Ciel, du visible et
de l'immatériel, il en est peu où, plus que dans Partage de Midi, brûle la haute
poésie claudélienne.


PARTAGE DE MIDI (1905)
Amalric et Ysé, après une séparation de dix ans, se retrouvent sur le font d'un paquebot
au milieu de l'océan Indien. Tous les deux évoquent alors le passé.


AMALRIC

Et cependant, Ysé, Ysé, Ysé.

Cette grande matinée éclatante quand nous nous sommes rencontrés!
Ysé, ce froid dimanche éclatant, à dix heures sur la mer!

Quel vent féroce il faisait dans le grand soleil! Comme cela sifflait et
cinglait, et comme le dur mistral1 hersait2 l'eau cassée.

Toute la mer levée sur elle-même, tapante, claquante, ruante dans le
soleil, détalant dans la tempête!

C'est hier sous le clair de lune, dans le plus profond de la nuit

Qu'enfin, engagés dans le détroit de Sicile, ceux qui se réveillaient, se
v redressant, effaçant la vapeur sur le hublot1,

Avaient retrouvé l'Europe, tout enveloppée de neige, grande et grise,

Sans voix, sans figure, les accueillant dans le sommeil.

Et ce clair jour de l'Epiphanie4, nous laissions à notre droite, derrière
nous,

La Corse, toute blanche, toute radieuse, comme une mariée dans la
matinée carillonnante!

Ysé, vous reveniez d'Egypte, et, moi je ressortais du bout du monde, du
fond de la mer,

Ayant bu mon premier grand coup de la vie et ne rapportant dans ma
poche

Rien d'autre qu'un poing dur et- des doigts sachant maintenant compter.

Alors un coup de vent comme une claque

Fit sauter tous vos peignes et le tas de vos cheveux me partit dans la
figure!

376

Voilà la grande jeune fille

Qui se retourne en riant; elle me regarde et je la regardai.

YSÉ
Je me rappelle ! vous laissiez pousser votre barbe à ce moment, elle était

roide comme une étrille" !

Comme j'étais forte et joyeuse à ce moment! comme je riais bien!

comme je me tenais bien! Et comme j'étais jolie aussi!
Et puis la vie est venue, les enfants sont venus,
Et maintenant vous voyez comme me voilà réduite et obéissante
Comme un vieux cheval blanc qui suit la main qui le tire,
Remuant ses quatre pieds l'un après l'autre*.

Acte I.

Примечания:

1. Сильный ветер, дующий на юге Франции. 2. Боронит — от сельскохозяйствен-
ного орудия "борона". 3. Иллюминатор. 4. Христианский праздник: в этот день цари-
волхвы пришли на поклонение к младенцу Христу. 5 Скребница, которой чистят ло-
шадей

Вопросы:

* Relevez et étudiez les images contenues dans ce texte. Quelle idée peuvent-elles
donner du
lyrisme claudéhea?

JEAN GIRAUDOUX (1882-1944)

Ç 'AURA été l'un des principaux mérites de JEAN GIRAUDOUX que de ressusciter
quelques-uns des grands mythes de l'Antiquité. Non point qu'il les traite à
l'imitation des classiques, pour fuir les problèmes de l'époque: au contraire, il
les repense en homme du XX
e siècle et trouve dans l'actualité un des moyens
les plus sûrs pour éclairer d'un 'jour nouveau des questions éternelles.
Ainsi cette Guerre de Troie, qu'Hector et Ulysse tentent désespérément
d'empêcher: elle ressemble beaucoup moins au conflit dépeint dans l'épopée
homérique qu'à ces conflagrations absurdes qui ont embrasé notre époque
malgré tant de loyaux efforts pour les conjurer... Mais l'art de Giraudoux traite
ces graves problèmes d'une touche si légère qu'on n'en sent pas toujours le
pathétique.


.377

LA GUERRE DE TROIE N'AURA PAS LIEU (1935)

HECTOR

Eh bien, le sort en est jeté, Ulysse! Va pour la guerre1 ! A mesure que j'ai
plus de haine pour elle, il me vient d'ailleurs un désir plus incoercible2 de
tuer... Partez, puisque vous me refusez votre aide...

ULYSSE

Comprenez-moi, Hector!.. Mon aide vous est acquise. Ne m'en veuillez
pas d'interpréter le sort. J'ai seulement voulu lire dans ces grandes lignes
que sont, sur l'univers, les voies des caravanes, lés chemins des navires, le
tracé des grues volantes et des races. Donnez-moi votre main. Elle aussi
a ses lignes. Mais ne cherchons pas si leur leçon est la même. Admettons
que les- trois petites rides au fond de la main d'Hector disent le contraire de
ce qu'assurent les fleuves, les vols et les sillages. Je suis curieux de nature,
et je n'ai pas peur. Je veux bien aller contre le sort. J'accepte Hélène. Je la
rendrai à Ménélas. Je possède beaucoup plus d'éloquence qu'il n'en faut
pour faire croire un mari à la vertu de sa femme. J'amènerai même Hélène
à y croire elle-même. Et je pars à l'instant, pour éviter toute surprise. Une
fois au navire, peut-être risquons-nous de déjouer la guerre.

HECTOR
Est-ce là la ruse d'Ulysse, ou sa grandeur?

ULYSSE

Je ruse en ce moment contre le destin, non contre vous. C'est un premier
essai, et j'y ai plus de mérite. Je suis sincère, Hector... Si je voulais la
guerre, je ne demanderais pas Hélène, mais une rançon qui vous est plus
chère... Je pars... Mais je ne peux me défendre de l'impression qu'il est bien
long, le chemin qui va de cette place à mon navire.

HECTOR

Ma garde vous escorte.

ULYSSE

II est long comme le parcours officiel des rois en visite quand l'attentat
menace... Où se cachent les conjurés? Heureux nous sommes, si ce n'est
pas dans le ciel même... Et le chemin d'ici à ce coin du palais est long... Et
long mon premier pas... Comment va-t-il se faire, mon premier pas, entre
tous ces périls?.. Vais-je glisser et me tuer?.. Une corniche va-t-elle
s'effondrer sur moi de cet angle? Tout est maçonnerie neuve ici, et j'attends

378

la pierre croulante*... Du courage... Allons-y.
(Il fait un premier pas.)

HECTOR
Merci, Ulysse.

ULYSSE
Le premier pas... Il en reste combien?

HECTOR
Quatre cent soixante.

ULYSSE
Au second! Vous savez ce qui me décide à partir, Hector...

HECTOR
Je le sais. La noblesse.

ULYSSE

Pas précisément... Andromaque a le même battement de cils que
Pénélope3.

Acte II, se. XIII.

Примечания:

1. Expression familière: d'accord, pour la guerre! — "Ну что ж, война так война" или
"Пусть будет война!". 2. Неукротимое. 3. Пенелопа — жена Улисса, двадцать лет
ждавшая его возвращения с Троянской войны..

Вопросы:

* Comment Giraudoux exprime-t-il ici l'idée que la guerre est une fatalité?

JULES ROMAINS (né en 1885)

Si le romancier des Hommes de Bonne Volonté laisse un héritage digne de
Balzac, l'auteur de Knock peut revendiquer l'honneur d'avoir créé un type aussi
vivant, aussi nécessaire que Tartuffe ou M. Jourdain: symbole à la fois de