Курс французского языка в четырех томах

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Содержание


Le bucher
Jean-jacques rousseau
Rêverie au bord du lac
Rêveries d'un Promeneur solitaire
Stendhal (1783-1842)
Une soirée a la campagne
Le Rouge et le Noir
Gustave flaubert
Victor, le neveu de félicité
Guy de maupassant
Le retour
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netteté. Tout ce qui risque d'alourdir l'expression ou de fausser la pensée est
banni au profit de la légèreté et de la limpidité. La phrase court droit au but:
elle ne s'embarrasse ni de vaine redondance, ni de fausse symétrie, ni
d'enjolivement d'aucune sorte. L'art, ici, consiste à mépriser l'artifice...

LE BUCHER

Il y avait alors dans l'Arabie une coutume affreuse, venue originaire
ment de Scythie1, et qui, s'étant établie dans les Indes par le crédit des
brachmanes2 menaçait d'envahir tout l'Orient. Lorsqu'un homme marié était
mort, et que sa femme bien-aimée voulait être sainte, elle se brûlait en
public sur le corps de son mari. C'était une fête solennelle qui s'appelait le
bûcher du veuvage. La tribu dans laquelle il y avait eu le plus de femmes
brûlées était la plus considérée. Un Arabe de la tribu de Sétoc1 étant mort.

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sa veuve, nommée Almona, qui était fort dévote, fit savoir le jour et l'heure
où elle se jetterait dans le feu au son des tambours et des trompettes. Zadig
remontra4 à Sétoc combien cette horrible coutume était contraire au bien du
genre humain; qu'on laissait brûler tous les jours de jeunes veuves qui
pouvaient donner des enfants à l'État, ou du moins élever les leurs; et il le
fit convenir qu'il fallait, si l'on pouvait, abolir un usage si barbare. Sétoc
répondit: «Il y a plus de mille ans que les femmes sont en possession de5 se
brûler. Qui de nous osera changer une loi que le temps a consacrée? Y a-t-
il rien de plus respectable qu'un ancien abus? — La raison est plus
ancienne, reprit Zadig. Parlez aux chefs des tribus, et je vais trouver la
jeune veuve.»

Il se fit présenter à elle; et après s'être insinué dans son esprit par des
louanges sur sa beauté, après lui avoir dit combien c'était dommage de
mettre au feu tant de charmes, il la loua encore sur sa constance et son
courage. «Vous aimiez donc prodigieusement votre mari? lui dit-il. —
Moi? point du tout, répondit la dame arabe. C'était un brutal, un jaloux, un
homme insupportable; mais je suis fermement résolue de me jeter sur son
bûcher. — II faut, dit Zadig, qu'il y ait apparemment un plaisir bien
délicieux à être brûlée vive. — Ah! cela fait frémir la nature, dit la dame;
mais il faut en passer par là. Je suis dévote; je serais perdue de réputation,
et tout le monde se moquerait de moi si je ne me brûlais pas.» Zadig,
l'ayant fait convenir qu'elle se brûlait pour les autres et par vanité, lui parla
longtemps d'une manière à lui faire aimer un peu la vie, et parvint même à
lui inspirer quelque bienveillance pour celui qui lui parlait. «Que feriez-
vous enfin, lui dit-il, si la vanité de vous brûler ne vous tenait pas? —
Hélas! dit la dame, je crois que je vous prierais de m'épouser.»

Zadig était trop rempli de l'idée d'Astarté6 pour ne pas éluder7 cette
déclaration; mais il alla dans l'instant trouver les chefs des tribus, leur dit
ce qui s'était passé, et leur conseilla de faire une loi par laquelle il ne serait
permis à une veuve de se brûler qu'après avoir entretenu un jeune homme
tête à tête pendant une heure entière*. Depuis ce temps aucune dame ne se
brûla en Arabie. On eut au seul Zadig l'obligation d'avoir détruit en un jour
une coutume si cruelle, qui durait depuis tant de siècles. Il était donc le
bienfaiteur de l'Arabie**.

Zadig, Chapitre XI (1747).
Примечания:


1. Страна скифов, Скифия. 2. Брахман или брамин, индуистский жрец, священно-
служитель. 3. Арабский купец, в рабство которому был продан герой сказки Задиг.

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4. Объяснил, растолковал. 5. Имеют право и обычай. 6. Молодая женщина, в которую
влюблен Задиг и которую он надеется обрести. 7. Уклониться.

Вопросы:

* On comparera ce passage avec La Jeune Veuve de La Fontaine.

** Quelle est l'idée essentielle que détend ici Voltaire? Montrez qu'il la développe sout,
la forme d'un
apologue, que les traits malicieux et spirituels rendent plus plaisant. —
Essayez de définir l'ironie voltairienne.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU (1712 1778)

Force de dépouillement et d'analytique précision, la prose française risquait
de verser dans une sécheresse désolée. Aussi faut-il saluer comme un moment
capital de son histoire l'avènement du Genevois ROUSSEAU, qui sut lui rendre
un souffle, une chaleur trop oubliés depuis Bossuet.


Mais le lyrisme de Jean-Jacques ne puise pas aux mêmes sources que celui de
l'orateur chrétien: il provient d'une mélancolie un peu vague, s'enveloppe
couramment des brumes de la rêverie, et la phrase qu'il inspire n'a tant
d'ampleur et de sinuosité que pour exprimer plus exactement des états d'âme
eux-mêmes ondoyants et complexes. Au fond, si la prose de Rousseau est si
volontiers musicale (et d'une musicalité fluide), c'est qu'elle veut traduire,
plutôt que des sentiments précis, une sorte de musique intérieure.


RÊVERIE AU BORD DU LAC

Quand le lac1 agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon
après-midi à parcourir l'île, en herborisant à droite et à gauche; m'asseyant
tantôt dans les réduits les plus riants et les plus solitaires pour y rêver
à mon aise, tantôt sur les terrasses et les tertres, pour parcourir des yeux le
superbe et ravissant coup d'oeil du lac et de ses rivages, couronnés d'un côté
par des montagnes prochaines et, de l'autre, élargis en riantes et fertiles
plaines, dans lesquelles la vue s'étendait jusqu'aux montagnes bleuâtres
plus éloignées qui la bornaient.

Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l'île, et j'allais
volontiers m'asseoir au bord du lac, sur la grève, dans quelque asile caché;
là, le bruit des vagues et l'agitation de l'eau, fixant mes sens et chassant de
mon âme toute autre agitation, la plongeaient dans une rêverie délicieuse,
où la nuit me surprenait souvent sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et

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reflux de cette eau, son bruit continu, mais renflé par intervalles, frappant
sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes
que la rêverie éteignait en moi, et suffisaient pour me faire sentir avec
plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre
naissait quelque faible et courte réflexion sur l'instabilité des choses de ce
monde, dont la surface des eaux m'offrait l'image; mais bientôt ces
impressions légères s'effaçaient dans l'uniformité du mouvement continu
qui me berçait et qui, sans aucun concours actif de mon âme, ne laissait pas
de2 m'attacher au point qu'appelé par l'heure et par le signal convenu je ne
pouvais m'arracher de là sans efforts*.

Rêveries d'un Promeneur solitaire (publiées en 1782).
Примечания:


1. Бьеннское озеро, посреди которого находится остров Сен-Пьер. Руссо был там в
сентябре и октябре 1765 г. 2. Ne manquait pas de...

Вопросы:

* Montrez, dans la première partie de ce texte, le caractère conventionnel des
qualificatifs: une seule éptthète apporte une nuance plus précise.
Dans la seconde partie,
essayez de marquer
le rythme si expressif des phrases: quelle place y tient à cet égard
l'accumulation des
imparfaits?

STENDHAL (1783-1842)

Celui-là n'a pas l'ampleur, ni les couleurs, ni les timbres des grands roman-
tiques, ses contemporains. Sa prose, qu'il s'applique à maintenir essentielle-
ment précise et juste, préférant la sécheresse au pittoresque, traduit avec une
impitoyable exactitude les pensées et les sentiments les plus fugitifs. Elle a une
transparence étonnante, une intelligence sans défaut.


UNE SOIRÉE A LA CAMPAGNE

Julien Sorel est précepteur des enfants de Mme de Rénal. Un soir que la famille est
rassemblée sous un tilleul, Julien, en parlant d'une façon démonstrative, heurte par
mégarde la main de Mme de Rénal appuyée sur le dossier d'une chaise.


Cette main se retira bien vite; mais Julien pensa qu'il était de son devoir
d'obtenir que l'on ne retirât pas cette main quand il la touchait. L'idée d'un
devoir à accomplir, et d'un ridicule, ou plutôt d'un sentiment d'infériorité à

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à encourir si l'on n'y parvenait pas, éloigna sur-le-champ tout plaisir de son
cœur.

Ses regards, le lendemain, quand il revit Mme de Rénal, étaient
singuliers; il l'observait comme un ennemi avec lequel il va falloir se
battre. Ces regards, si différents de ceux de la veille, firent perdre la têteà
Mme de Rénal; elle avait été bonne pour lui, et il paraissait fâché. Elle ne
pouvait détacher ses regards des siens.

La présence de Mme Derville1 permettait à Julien de moins parler et de
s'occuper davantage de ce qu'il avait dans la tête. Son unique affaire, toute
cette journée, fut de se fortifier par la lecture du livre inspiré qui retrempait
son âme . Il abrégea beaucoup les leçons des enfants, et ensuite, quand la
présence de Mme de Rénal vint le rappeler tout à fait aux soins de sa
gloire, il décida qu'il fallait absolument qu'elle permît ce soir-là que sa
rnain restât dans la sienne. Le soleil en baissant, et rapprochant le moment
décisif, fit battre le cœur de Julien d'une façon singulière. La nuit vint. Il
observa, avec une joie qui lui ôta un poids immense de dessus la poitrine,
qu'elle serait fort obscure. Le ciel, chargé de gros nuages, promenés par un
vent très chaud, semblait annoncer une tempête.

Les deux amies se promenèrent fort tard. Tout ce qu'elles faisaient ce
soir-là semblait singulier à Julien. Elles jouissaient de ce temps, qui, pour
certaines âmes délicates, semble augmenter le plaisir d'aimer.

On s'assit enfin, Mme de Rénal à côté de Julien, et Mme Derville près
de son amie. Préoccupé de ce qu'il allait tenter, Julien ne trouvait rien
à dire. La conversation languissait.

«Serai-je aussi tremblant et malheureux au premier duel qui me
viendra?» se dit Julien; car il avait trop de méfiance et de lui et des autres
pour ne pas voir l'état de son âme.

Dans sa mortelle angoisse, tous les dangers lui eussent semblé préfér-
ables. Que de fois ne désira-t-il pas voir survenir à Mme de Rénal quelque
affaire qui l'obligeât de rentrer à la maison et de quitter le jardin! La
violence que Julien était obligé de se faire était trop forte pour que sa voix
ne fût pas profondément altérée; bientôt la voix de Mme de Rénal devint
tremblante aussi, mais Julien ne s'en aperçut point. L'affreux combat que le
devoir livrait à la timidité était trop pénible pour qu'il fût en état de rien
observer hors lui-même. Neuf heures trois quarts venaient de sonner
à l'horloge du château, sans qu'il eût encore rien osé. Julien, indigné de sa
lâcheté, se dit: «Au moment précis où dix heures sonneront, j'exécuterai ce
que, pendant toute la journée, je me suis promis de faire ce soir, ou je
monterai chez moi me brûler la cervelle».

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Après un dernier moment d'attente et d'anxiété, pendant lequel l'excès
de l'émotion mettait Julien comme hors de lui, dix heures sonnèrent à
l'horloge qui était au-dessus de sa tête. Chaque coup de cette cloche fatale
retentissait dans sa poitrine et y causait comme un mouvement physique.

Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il
étendit la main, et prit celle de Mme de Rénal, qui la retira aussitôt. Julien,
sans trop savoir ce qu'il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien ému lui-
même, il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu'il prenait; il la
serrait avec une force convulsive; on fit un dernier effort pour la lui ôter,
mais enfin cette main lui resta.

Son âme fut inondée de bonheur, non qu'il aimât Mme de Rénal, mais
un affreux supplice venait de cesser. Pour que Mme Derville ne s'aperçût
de rien, il se crut obligé de parler; sa voix alors était éclatante et forte.
Celle de Mme de Rénal, au contraire, trahissait tant d'émotion que son
amie la crut malade et lui proposa de rentrer. Julien sentit le danger: «Si
Mme de Rénal rentre au salon, je vais retomber dans la position affreuse où
j'ai passé la journée. J'ai tenu cette main trop peu de temps pour que cela
compte comme un avantage qui m'est acquis.»

Au moment où Mme Derville renouvelait la proposition de rentrer au
salon, Julien serra fortement la main qu'on lui abandonnait.

Mme de Rénal, qui se levait déjà, se rassit, en disant, d'une voix
mourante: «Je me sens, à la vérité, un peu malade, mais le grand air me fait
du bien.» Ces mots confirmèrent le bonheur de Julien, qui, dans ce
moment, était extrême: il parla, il oublia de feindre, il parut l'homme le
plus aimable aux deux amies qui l'écoutaient. Cependant il y avait encore
un peu de manque de courage dans cette éloquence qui lui arrivait tout à
coup. Il craignait mortellement que Mme Derville, fatiguée du vent qui
commençait à s'élever, et qui précédait la tempête, ne voulût rentrer seule
au salon. Alors il serait resté en tête-à-tête avec Mme de Rénal. Il avait eu
presque par hasard le courage aveugle qui suffit pour agir; mais il sentait
qu'il était hors de sa puissance de dire le mot le plus simple à Mme de
Rénal. Quelque légers que fussent ses reproches, il allait être battu, et
l'avantage qu'il venait d'obtenir anéanti*.

Heureusement pour lui, ce soir-là, ses discours touchants et
emphatiques3 trouvèrent grâce devant Mme Derville, qui très souvent le
trouvait gauche comme un enfant, et peu amusant. Pour Mme de Rénal, la
main dans celle de Julien, elle ne pensait à rien; elle se laissait vivre. Les
heures qu'on passa sous ce grand tilleul, que la tradition du pays dit planté
par Charles le Téméraire4, furent pour elle une époque de bonheur. Elle

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écoutait avec délices les gémissements du vent dans l'épais feuillage du
tilleul, et le bruit de quelques gouttes rares qui commençaient à tomber sur
ses feuilles les plus basses.

Julien ne remarqua pas une circonstance qui l'eût bien rassuré: Mme de
Rénal, qui avait été obligée de lui ôter sa main, parce qu'elle se leva pour
aider sa cousine à relever un vase de fleurs que le vent venait de renverser
à leurs pieds, fut à peine assise de nouveau qu'elle lui rendit sa main
presque sans difficulté, et comme si déjà c'eût été entre eux une chose
convenue.

Minuit était sonné depuis longtemps, il fallut enfin quitter le jardin: on
se sépara. Mme de Rénal, transportée du bonheur d'aimer, était tellement
ignorante qu'elle ne se faisait presque aucun reproche. Le bonheur lui ôtait
le sommeil. Un sommeil de plomb s'empara de Julien, mortellement fatigué
des combats que toute la journée la timidité et l'orgueil s'étaient livrés dans
son cœur**.

Le Rouge et le Noir, I, IX (1830).
Примечания:


1. Родственница и подруга г-жи де Реналь. 2. Жюльен, пылкий поклонник Наполе-
она, читал ''Мемориал Святой Елены", дневник, который вел граф де Лас Казе, сопут-
ствовавший Наполеону в его изгнании. 3. Выспренние, высокопарные. 4. Карл Сме-
лый (1433 - 1477) — последний герцог Бургундии, непримиримый враг французского
короля Людовика XI.

Вопросы:

* On étudiera le conflit de la volonté et de la timidité chez Julien.

** Zola a regretté que le cadre de cette scène n'ait pas été évoqué avec plus
d'exactitude. Qu'en pensez-vous ?

GUSTAVE FLAUBERT (1821 1880)

Véritable forçat des lettres, capable de recommencer la même 'page quinze
ou vingt fois et n'y mettant le point final qu'au moment où il en était pleinement
satisfait, FLAUBERT offre l'image de l'écrivain consciencieux jusqu'à la torture.
De là ses «affres», ses découragements, cette angoisse si souvent ressentie de
ne jamais atteindre le terme de l'œuvre entreprise. De là aussi, parfois, une
certaine monotonie dans le style, trop tendu à force de viser à la perfection.


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Mais l'œuvre de Flaubert abonde également en pages d'une belle coulée
classique, où la réussite masque l'effort.


VICTOR, LE NEVEU DE FÉLICITÉ1

Il arrivait le dimanche après la messe, les joues rosés, la poitrine nue, et
sentant l'odeur de la campagne qu'il avait traversée. Tout de suite, elle
dressait son couvert. Ils déjeunaient l'un en face de l'autre; et, mangeant
elle-même le moins possible pour épargner la dépense, elle le bourrait
tellement de nourriture qu'il finissait par s'endormir. Au premier coup des
vêpres, elle le réveillait, brossait son pantalon, nouait sa cravate, et se
rendait à l'église, appuyée sur son bras dans un orgueil maternel.

Ses parents le chargeaient toujours d'en2 tirer quelque chose, soit un
paquet de cassonade4, du savon, de l'eau-de-vie, parfois même de l'argent.
Il apportait ses nippes5 à raccommoder et elle acceptait cette besogne,
heureuse d'une occasion qui le forçait à revenir.

Au mois d'août, son père l'emmena au cabotage6.

C'était l'époque des vacances. L'arrivée des enfants7 la consola. Mais
Paul devenait capricieux, et Virginie n'avait plus l'âge d'être tutoyée, ce qui
mettait une gêne, une barrière entre elles.

Victor alla successivement à Morlaix. à Dunkerque et à Brighton; au
retour de chaque voyage, il lui offrait un cadeau. La première fois, ce fut
une boîte en coquilles, la seconde, une tasse à café; la troisième, un grand
bonhomme en pain d'epice. Il embellisait, avait la taille bien prise, un peu
moustache, de bons yeax francs, et un petit chapeau de cuir, placé en
arrière comme un pilote. Il l'amusait en lui racontant des histoires mêlées
de termes marins.

Un lundi, 14 juillet 1810 (elle n'oublia pas la date), Victor annonça qu'il
était engagé au long cours8 et, dans la nuit du surlendemain, par le
paquebot de Honfleur9, irait rejoindre sa goélette10, qui devait démarrer11
du Havre prochainement. Il serait, peut-être, deux ans parti.

La perspective d'une telle absence désola Félicité; et pour lui dire
encore adieu, le mercredi soir, après le dîner de Madame, elle chaussa des
galoches12, et avala les quatre lieues qui séparaient Pont-1'Evêque de
Honfleur.

Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à gauche, elle prit
à droite, se perdit dans des chantiers, revint sur ses pas; desgens qu'elle
accosta14 l'engagèrent à se hâter. Elle fit le tour du bassin rempli des
navires, se heurtait contre des amarres15; puis le terrain s'abaissa, des

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lumières s'entrecroisèrent, et elle se crut folle, en apercevant des chevaux
dans le ciel.

Au bord du quai, d'autres hennissaient, effrayés par la mer. Un palan16
qui les enlevait les descendait dans un bateau, où des voyageurs se
bousculaient entre les barriques de cidre, les paniers de fromage, les sacs
de grain; on entendait chanter des poules, le capitaine jurait; et un mousse
restait accoudé sur le bossoir17, indifférent à tout cela. Félicité, qui ne
l'avait pas reconnu, criait: «Victor!»; il leva la tête; elle s'élançait, quand on
retira l'échelle tout à coup*.

Un Cœur simple (1877).
Примечания:


1. Имя служанки, чью жизнь Флобер описал в "Простом сердце" 2. У нее. т.е. у
Фелисите. 3. Soit = c'est-à-dire. 4. Плохо очищенный сахар коричневатого цвета. 5. По-
ношенная одежда, тряпье. 6. Торговые морские рейсы между портами, находящимися
на одном побережье. 7. Дети госпожи Обен, хозяйки Фелисите. 8. В дальнее плавание.
9. Порт в устье Сены. 10. Шхуну. Название происходит, повидимому, от goéland —
чайка. И. Отчалить, т.е. отправиться в плавание. 12. Грубые башмаки, изготовленные
из дерева, либо с деревянной подошвой. 13. В субпрефектуре Кальвадос в Нормандии.
14. Подошла, обратилась. 15. Швартовы — канаты, которыми судно удерживается >
причальной стенки. 16. Полиспаст, грузоподъемное устройство. 17. Крамбол — балка,
на которой подвешивается якорь.

Вопросы:

* Comment l'auteur nous intéresse-t-il à cette pauvre femme. Montrez la couleur
maritime du passage.

GUY DE MAUPASSANT (1850-1893)

entre les romanciers de l'époque réaliste ou naturaliste, MAUPASSANT se
distingue par la force nerveuse de son style, la simplicité de ses moyens
d'expression.Voici une nouvelle, dont le thème a inspiré plus d'un poète ou d'un
chansonnier (par exemple Tennyson dans Enoch Arden, ou l'auteur inconnu de
la vieille chanson du Marin qui revient de guerre ). Une intense émotion, une
grande pitié se dégagent de ce drame des humbles. Elles sont à la mesure de la
discrétion voulue par l'auteur.


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LE RETOUR

La mer fouette la côte de sa vague courte et monotone. De petits nuages
blancs passent vite à travers le grand ciel bleu, emportés par le vent rapide,
comme des oiseaux; et le village, dans le pli du vallon qui descend vers
l'océan, se chauffe au soleil.

Tout à l'entrée, la maison des Martin-Lévesque, seule, au bord de la
route. C'est une petite demeure de pêcheur, aux murs d'argile, au toit de
chaume empanaché d'iris bleus. Un jardin large comme un mouchoir, où
poussent des oignons, quelques choux, du persil, du cerfeuil, se carre2
devant la porte. Une haie le clôt le long du chemin.

L'homme est à la pêche, et la femme, devant la loge, répare les mailles
d'un grand filet brun, tendu sur le mur ainsi qu'une immense toile
d'araignée. Une fillette de quatorze ans, à l'entrée du jardin, assise sur une
chaise de paille, penchée en arrière, raccommode du linge, du linge de
pauvre, rapiécé, reprisé déjà. Une autre gamine, plus jeune d'un an, berce
dans ses bras un enfant tout petit, encore sans geste et sans parole; et deux
mioches3 de deux ou trois ans, le derrière dans la terre, nez à nez, jardinent
de leurs mains maladroites et se jettent des poignées de poussière dans la
figure.

Personne ne parle. Seul le moutard" qu'on essaie d'endormir pleure
d'une façon continue, avec une petite voix aigre et frêle. Un chat dort sur la
fenêtre; et des giroflées épanouies font, au pied du mur, un beau bourrelet
de fleurs blanches, sur qui4 bourdonne un peuple de mouches.

La fillette qui coud près de l'entrée appelle tout à coup:

« M'man ! »

La mère répond:

«Que qu'tas?

— Le r'voilà5».

Elles sont inquiètes depuis le matin, parce qu'un homme rôde autour de
la maison; un vieux homme qui a l'air d'un pauvre. Elles l'ont aperçu
comme elles allaient conduire le père à son bateau, pour l'embarquer. Il ,
était assis sur le fossé, en face de leur porte. Puis, quand elles sont
revenues de la plage, elles l'ont retrouvé là, qui regardait la maison.

Il semblait malade et très misérable. Il n'avait pas bougé pendant plus
d'une heure; puis, voyant qu'on le considérait comme un malfaiteur, il
s'était levé et était parti en traînant la jambe.

Mais bientôt elles l'avaient vu revenir de son pas lent et fatigué; et il
s'était encore assis, un peu plus loin cette fois, comme pour les guetter.

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La mère et les fillettes avaient peur. La mère surtout se tracassait parce
qu'elle était d'un naturel craintif, et que son homme, Lévesque, ne devait
revenir de la mer qu'à la nuit tombante.

Son mari s'appelait Lévesque; elle, on la nommait Martin, et on les avait
baptisés les Martin-Lévesque. Voici pourquoi: elle avait épousé en
premières noces un matelot du nom de Martin, qui allait tous les étés
à Terre-Neuve, à la pêche de la morue.

Après deux années de mariage, elle avait de lui une petite fille et elle
était encore grosse de six mois quand le bâtiment qui portait son mari, les
Deux-Sœurs, un trois-mâts de Dieppe, disparut.

On n'en eut jamais aucune nouvelle; aucun des marins qui le montaient
ne revint; on le considéra donc comme perdu corps et biens6.

La Martin attendit son homme pendant dix ans, élevant à grand-peine
ses deux enfants; puis, comme elle était vaillante et bonne femme, un
pêcheur du pays, Lévesque, veuf avec un garçon, la demanda en mariage.
Elle l'épousa, et eut encore de lui deux enfants en trois ans.

Ils vivaient péniblement, laborieusement. Le pain était cher et la viande
presque inconnue dans la demeure. On s'endettait parfois chez le
boulanger, en hiver, pendant les mois de bourrasques. Les petits se
portaient bien, cependant. On disait:

«C'est des braves gens, les Martin-Lévesque. La Martin est dure à la
peine, et Lévesque n'a pas son pareil pour la pêche.»

La fillette assise à la barrière reprit:

«On dirait qu'y nous connaît. C'est p't-être ben quéque pauvre
d'Epréville ou. d'Auzebosc7

Mais la mère ne s'y trompait pas. Non, non, ça n'était pas quelqu'un du
pays, pour sûr!

Comme il ne remuait pas plus qu'un pieu, et qu'il fixait ses yeux avec
obstination sur le logis des Martin-Lévesque, la Martin devint furieuse et,
la peur la rendant brave, elle saisit une pelle et sortit devant la porte.

«Que que vous faites là?» cria-t-elle au vagabond.

Il répondit d'une voix enrouée:

«J'prends la fraîche, donc! J'vous fais-ti tort8? »

Elle reprit:

«Pourqué qu'vous êtes quasiment en espionnance devant ma maison9

L'homme répliqua:

«Je n'fais d'mal à personne. C'est-i point10 permis d's'asseoir sur la
route?»

Ne trouvant rien à répondre, elle rentra chez elle.

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Le journée s'écoula lentement. Vers midi, l'homme disparut. Mais il
repassa vers cinq heures. On ne le vit plus dans la soirée.

Lévesque rentra à la nuit tombée. On lui dit la chose. Il conclut:

«C'est quéque fouineur ou quéque malicieux11

Et il se coucha sans inquiétude, tandis que sa compagne songeait à ce
rôdeur qui l'avait regardée avec des yeux si drôles12.

Quand le jour vint, il faisait grand vent, et le matelot, voyant qu'il ne
pourrait prendre la mer, aida sa femme à raccommoder ses filets.

Vers neuf heures, la fille aînée, une Martin, qui était allée chercher du
pain, rentra en courant, la mine effarée et cria:

«M'man, le r'voilà!»

La mère eut une émotion, et, toute pâle, dit à son homme:

«Va li parler, Lévesque, pour qu'il ne nous guette point comme ça,
parce que, me, ça me tourne les sangs 13

Et Lévesque, un grand matelot au teint de brique, à la barbe drue et
rouge, à l'œil bleu percé d'un point noir, au cou fort, enveloppé toujours de
laine par crainte du vent et de la pluie au large, sortit tranquillement et
s'approcha du rôdeur.

La mère et les enfants les regardaient de loin, anxieux et frémissants.

Tout à coup, l'inconnu se leva et s'en vint, avec Lévesque, vers la
maison.

La Martin, effarée, se reculait. Son homme lui dit:

«Donne-lui un p'tieu de pain et un verre de cidre, 1 n'a rien mâqué
depuis avant-hier14

Et ils entrèrent tous deux dans le logis, suivis de la femme et des
enfants. Le rôdeur s'assit et se mit à manger, la tête baissée sous tous les
regards.

La mère, debout, le dévisageait; les deux grandes filles, les Martin,
adossées à la porte, l'une portant le dernier enfant, plantaient sur lui leurs
yeux avides, et les deux mioches, assis dans les cendres de la cheminée,
avaient cessé de jouer avec la marmite noire, comme pour contempler aussi
cet étranger.

Lévesque, ayant pris une chaise, lui demanda:

«Alors vous v'nez de loin?
  • J'viens d'Cette15.
  • A pied, comme ça?..
  • Oui, à pied. Quand on n'a pas les moyens, faut ben.
  • Ousque16 vous allez donc?
  • J'allais t'ici17.

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  • Vous y connaissez quéqu'un?
  • Ça se peut ben.»

Ils se turent. Il mangeait lentement, bien qu'il fût affamé, et il buvait une
gorgée de cidre après chaque bouchée de pain. 11 avait un visage usé, ridé,
creux partout, et semblait avoir beaucoup souffert.

Lévesque lui demanda brusquement:

«Comment que vous vous nommez?»

Il répondit sans lever le nez:

«Je me nomme Martin. »

Un étrange frisson secoua la mère. Elle fit un pas, comme pour voir de
plus près le vagabond, et demeura en face de lui, les bras pendants, la
bouche ouverte. Personne ne disait plus rien. Lévesque enfin reprit:

«Etes-vous d'ici?»

Il répondit:

«J'suis d'ici.»

Et comme il levait enfin la tête, les yeux de la femme et les siens se
rencontrèrent et demeurèrent fixes, mêlés, comme si les regards se fussent
accrochés.

Et elle prononça tout à coup, d'une voix changée, basse, tremblante:

«C'est-y té'8, mon homme?»

Il articula lentement:

«Oui, c'est me19

II ne remua pas, continuant à mâcher son