Курс французского языка в четырех томах

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Содержание


Dieu sensible au cœur
De l'esclavage des nègres
Esprit des Lois
Diderot (1713-1784)
Autorité politique
Mélancolie de rené
René (1802).Примечания
Ernest renan
De l'individu a l'humanité
Charles péquy
Socialisme et charité (1910)
Notre Jeunesse (1910).Примечания
André gide
Être toujours tout entier disponible...
Les Nourritures terrestres.
Georges duhamel
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part du «cœur» et aboutit à Dieu. Pensée mystique, si l'on veut: mais il y a un
mysticisme français, comme il y a une libre pensée française.

DIEU SENSIBLE AU CŒUR

C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison; voilà ce que c'est que la
foi: Dieu sensible au cœur, non à la raison.

Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point; on le sait en mille
choses. Je dis que le cœur aime l'Être universel naturellement, et soi-même
naturellement, selon qu'il s'y adonne1 et il se durcit contre l'un ou l'autre, à
son choix. Vous avez rejeté l'un et conservé l'autre: est-ce par raison que

vous vous aimez?

Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore
par le cœur; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers
principes, et c'est en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part,
essaie de les combattre. Les pyrrhoniens2 qui n'ont que cela3 pour objet, y
travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point; quelque
impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne
conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas
l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la
connaissance des premiers principes, comme4 qu'il y a espace, temps,
mouvement, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos

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raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du. cœur et de
l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle y fonde tout son
discours. Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et que les
nombres sont infinis; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux
nombres carrés dont l'un soit double de l'autre. Les principes se sentent, les
propositions se concluent; et le tout avec certitude, quoique par différentes
voies. Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur
des preuves de ces premiers principes, pour vouloir y consentir, qu'il serait
ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment5 de toutes les
propositions qu'elle démontre, pour vouloir les recevoir.

Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison, qui
voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude comme s'il
n'y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en
eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses
par instinct et par sentiment! Mais la nature nous a refusé ce bien; elle ne
nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte;
toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement.

Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du
cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. Mais à ceux qui ne
l'ont pas, nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant
que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n'est
qu'humaine, et inutile pour le salut*.

Pensées (publiées en 1670).
Примечания:


1. В той мере, в какой оно предано любви. 2. Скептики. 3. У которых одна цель —
борьба против главных принципов, диктуемых человеку сердцем 4. Comme = par
exemple. 5. Чувство противопоставляется доказательствам.

Вопросы:

* Quel nom donnerait-on aujourd'hui à ce que Pascal appelle le cœur? — On
comparera le
ion de ce passage à celui de l'extrait précédent. Après iéclosion du
romantisme franfais, la pensée religieuse trouvera un aliment chez Pascal:
pourquoi?

MONTESQUIEU (1689-1755)

les «philosophes» du XVIIIe siècle, MONTESQUIEU osa, le premier, s'attaquer
à des sujets épargnés jusqu'alors: le christianisme et la royauté. Et cette


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offensive, commencée sur le ton du persiflage dans les Lettres persanes, se
poursuivit avec acharnement dans l'Esprit des Lois, monument élevé et
consacré à la défense de l'Homme...


DE L'ESCLAVAGE DES NÈGRES

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les Nègres
esclaves, voici ce que je dirais:

Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû
mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de

terres.

Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le

produit par des esclaves.

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête; et ils ont le
nez si écrasé, qu'il est presque impossible de les plaindre.

On ne peut pas se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage,
ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez
les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, était d'une si grande
conséquence1, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur
tombaient entre les mains.

Une preuve que les Nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font
plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées,
est d'une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des
hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait
à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains;
car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des
princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire
une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié*?

Esprit des Lois, XV, v ( 1748).
Примечания:


] Значение.

Вопросы:

* L'indignation est sensible sous le manteau de l'ironie. Quels passages vous paraissent,
à cet égard,
les plus vigoureux? — Quelle est la nouveauté de cette page, de quel courage
témoigne-t-elle, en 1748?

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DIDEROT (1713-1784)
ET «L'ENCYCLOPÉDIE» (1751 1772)

En DIDEROT on admirela -profondeur de vues, la puissance parfois,
prophétique d'un esprit qui n'a pas fini d'exercer son action sur la pensée
d'aujourd'hui. Ce fut un prodigieux remueur d'idées. Spirituel comme Voltaire,
à l'occasion, sensible, pathétique parfois comme Rousseau, il joint à ces dons
une intelligence d'une rare souplesse et propre aux synthèses les plus hardies.
On trouvera ici un article écrit pour cette Encyclopédie, qui ne fut pas
seulement la grande affaire de la vie de Diderot, mais aussi une sorte de
machine de guerre idéologique montée pour démolir l'Ancien Régime.


AUTORITÉ POLITIQUE

Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres.
La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le
droit d'en jouir aussitôt qu'il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque
autorité, c'est la puissance paternelle: mais la puissance paternelle a ses
bornés; et dans l'état de nature elle finirait aussitôt que les enfants seraient
en état de se conduire. Toute autre autorité vient d'une autre origine que la
nature. Qu'on examine bien et on la fera toujours remonter à l'une de ces
deux sources: ou la force et la violence de celui qui s'en est emparé; ou le
consentement de ceux qui s'y sont soumis par un contrat fait ou supposé
entre eux et celui à qui ils ont déféré l'autorité.

La puissance qui s'acquiert par la violence n'est qu'une usurpation et ne
dure qu'autant que la force de celui qui commande l'emporte sur celle de
ceux qui obéissent; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les
plus forts, et qu'ils secouent le joug1, ils le font avec autant de droit et de
justice que l'autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l'autorité
la défait alors: c'est la loi du plus fort.

Quelquefois l'autorité qui s'établit par la violence change de nature;
c'est lorsqu'elle continue et se maintient du consentement exprès2 de ceux
qu'on a soumis: mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais
parler; et celui qui se l'était arrogée devenant alors prince cesse d'être
tyran3.

La puissance qui vient du consentement des peuples suppose
nécessairement des conditions qui en rendent l'usage légitime utile à la
société, avantageux à la république4, et qui la fixent et la restreignent entre

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des limites; car l'homme ne peut ni ne doit se donner entièrement et sans
réserve à un autre homme, parce qu'il a un maître supérieur au-dessus de
tout, à qui seul il appartient en entier. C'est Dieu dont le pouvoir est
toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu'absolu, qui ne
perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le
bien commun et le maintien de la société que les hommes établissent entre
eux un ordre de subordination, qu'ils obéissent à l'un d'eux; mais il veut que
ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve,
afin que la créature ne s'arroge pas les droits du créateur. Toute autre
soumission est le véritable crime d'idolâtrie5. Fléchir le genou devant un
homme ou devant une image n'est qu'une cérémonie extérieure, dont le vrai
Dieu, qui demande le cœur et l'esprit, ne se soucie guère, et qu'il
abandonne à l'institution des hommes pour en faire, comme il leur
conviendra, des marques d'un culte civil et politique, ou d'un culte de
religion. Ainsi ce ne sont pas ces cérémonies en elles-iAêmes, mais l'esprit
de leur établissement qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un
Anglais n'a point de scrupule à servir le roi le genou en terre; le
cérémonial6 ne signifie que ce qu'on a voulu qu'il signifiât, mais livrer son
cœur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au
caprice d'une pure créature, en faire l'unique et dernier motif de ses actions,
c'est assurément un crime de lèse-majesté divine7 au premier chef8*. ,

Encyclopédie.
Примечания:


1. Сбрасывают иго. 2. Ясным, недвусмысленным. 3. Слово использовано в этимо-
логическом смысле — узурпатор. 4. Государство (лат.). 5. Поклонение идолам, а не
истинному Богу. 6. Церемониал. Здесь: правила поведения при дворе. 7. Оскорбление
величества. Здесь', преступление против Божественного величия. 8. В наивысшей сте-
пени

Вопросы:

* En quoi consiste la hardiesse de cet article? Quelles critiques contient-il contre
l'Ancien Régime?
405

CHATEAUBRIAND (1768 1848)

autant le XVIIf siècle avait eu foi en l'homme, autant le' romantiques se
complurent dans le doute et même le désespoir. Il parut soi dain aux jeunes
gens, dont les nerfs étaient d'ailleurs ébranlés par les événements tragiques de
la Révolution et de l'Empire, que l'univers se dérobait sous leurs pas, que la vi
e
ne valait plus la peine d'être vécue, en un mot, comme dit Alfred de Musset,
qu'ils étaient venus «trop tard dans un monde trop vieux».
Ce «mal du siècle», qui est, à certains égards, le mal de la jeunesse, personne
ne semble l'avoir ressenti plus profondément ni analysé avec plus de lucidité
que CHATEAUBRIAND dans son petit roman autobiographique René.


MÉLANCOLIE DE RENÉ

La solitude absolue, le spectacle de la nature me plongèrent bientôt dans
un état presque impossible à décrire. Sans parents, sans amis, pour ainsi
dire seul sur la terre, n'ayant point encore aimé, j'étais accablé d'une
surabondance de vie. Quelquefois je rougissais subitement, et je sentais
couler dans mon cœur des ruisseaux d'une lave ardente; quelquefois, je
poussais des cris involontaires, et la nuit était également troublée de mes
songes et de mes veilles. Il me manquait quelque chose pour remplir
l'abîme de mon existence; je descendais dans la vallée, je m'élevais sur la
montagne, appelant de toute la force de mes désirs l'idéal objet d'une
flamme future; je l'embrassais dans les vents, je croyais l'entendre dans les
gémissements du fleuve; tout était ce fantôme imaginaire, et les astres dans
les cieux, et le principe même de la vie dans l'univers.

Toutefois cet état de calme et de trouble, d'indigence et de richesse,
n'était pas sans quelques charmes: un jour je m'étais amusé à effeuiller une
branche de saule sur un ruisseau, et à attacher une idée à chaque feuille que
le courant entraînait. Un roi qui craint de perdre sa couronne par une
révolution subite, ne ressent pas des angoisses plus vives que les miennes
à chaque accident qui menaçait les débris de mon rameau. 0 faiblesse des
mortels! ô enfance du cœur humain, qui ne vieillit jamais! Voilà donc
à quel degré de puérilité notre superbe raison peut descendre! Et encore
est-il vrai que bien des hommes attachent leur destinée à des choses d'aussi
peu de valeur que mes feuilles de saule.

Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives que j'éprouvais
dans mes promenades? Les sons que rendent les passions dans le vide d'un
cœur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre
dans le silence d'un désert: on en jouit, mais on ne peut les peindre.
406

L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes: j'entrai avec ravis-
sement dans les mois de tempêtes. Tantôt j'aurais voulu être un de ces
guerriers1 errant au milieu des vents, des nuages et des fantômes; tantôt
j'enviais jusqu'au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à
l'humble feu de broussailles qu'il avait allumé au coin d'un bois. J'écoutais
ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant
naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur. Notre
cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où
nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux
soupirs.

Le jour, je m'égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts.
Qu'il fallait peu de chose à ma rêverie! une feuille séchée que le vent
chassait devant moi, une cabane dont la fumée s'élevait dans la cime
dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du nord sur le
tronc d'un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri
murmurait! Le clocher solitaire, s'élevant au loin dans la vallée, a souvent
attiré mes regards; souvent j'ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui
volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats
lointains où ils se rendent; j'aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret
instinct me tourmentait; je sentais que je n'étais moi-même qu'un voyageur;
mais une voix du ciel semblait me dire: «Homme, la saison de ta migration
n'est pas encore venue; attends que le vent de la mort se lève; alors tu
déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton cœur demande».

«Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les
espaces d'une autre vie!» Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage
enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie ni frisson,
enchanté2 tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur*.

René (1802).
Примечания:


1. Один из воинов, воспетых Оссианом, шотландским бардом III в., которого при-
думал Макферсон и от имени которого сочинил ''Песни Оссиана". Это была одна из
знаменитейших литературных мистификаций. 2. Очарованный, околдованный.

Вопросы:

* On comparera ce texte avec les pièces célèbres de Lamartine intitulées 1/isolement et
L'Automne. — On a dit que Chateaubriand était le dernier «enchanteur des forêts
bretonnes-». Ce texte vous fait-il sentir pourquoi!


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ERNEST RENAN (1823-1892)

avec la génération de 1848 s'éteint d'une façon assez brusque le décourage-
ment particulier à l'âge romantique. L'homme, qui s'était cru délaissé,
réprouvé, maudit, re-prend confiance, sinon en Dieu, du moins dans
/ej
progrès de sa propre connaissance. Une nouvelle foi se crée, une sorte de
religion laïque qui aboutira à l'idolâtrie du «scientisme».
ERNEST RENAN est certainement un de ceux qui ont traduit avec le plus de
profondeur cet espoir en l'Avenir de la Science.


DE L'INDIVIDU A L'HUMANITÉ

Un jour, ma mère et moi, en faisant un petit voyage à travers les sentiers

pierreux des côtes de Bretagne qui laissent à tous ceux qui les ont foulés de

si doux souvenirs, nous arrivâmes à une église de hameau, entourée, selon

l'usage, du cimetière, et nous nous y reposâmes. Les murs de l'église en

granit à peine équarri et couvert de mousses, les maisons d'alentour

construites de blocs primitifs, les tombes serrées, les croix renversées et

effacées, les têtes nombreuses rangées sur les étages de la maisonnette qui

sert d'ossuaire, attestaient que, depuis les plus anciens jours où les saints de

Bretagne avaient paru sur ces flots, on avait enterré en ce lieu. Ce jour-là,

j'éprouvai le sentiment de 1 immensité, de l'oubli et du vaste silence où

s'engloutit la vie humaine avec un effroi que je ressens encore, et qui est

resté un des éléments de ma vie morale. Parmi tous ces simples qui sont là

à l'ombre de ces vieux arbres, pas un, pas un seul ne vivra dans l'avenir. Pas

un seul n'a inséré son action dans le grand mouvement des choses; pas un

seul ne comptera dans la statistique définitive de ceux qui ont poussé à

l'éternelle roue. Je servais alors le Dieu de mon enfance1, et un regard élevé

vers la croix de pierre, sur les marches de laquelle nous étions assis, et sur

le tabernacle qu'on voyait à travers les vitraux de l'église, m'expliquait tout

cela. Et puis, on voyait à peu de distance, la mer, les rochers, les vagues

blanchissantes, on respirait ce vent céleste qui, pénétrant jusqu'au fond du

cerveau, y éveille je ne sais quelle vague sensation de largeur et de liberté.

Et puis ma mère était à mes côtés; il me semblait que la plus humble vie

pouvait refléter le ciel grâce au pur amour et aux affections individuelles.

J'estimais heureux ceux qui reposaient en ce lieu.

Depuis j'ai transporté ma tente" et je m'explique autrement cette grande
nuit. Ils ne sont pas morts, ces obscurs enfants du hameau; car la Bretagne
vit encore, et ils ont contribué à faire la Bretagne; ils n'ont pas eu de rôle

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dans le grand drame, mais ils ont fait partie de ce vaste chœur sans lequel
le drame serait froid et dépourvu d'acteurs sympathiques. Et quand la
Bretagne ne sera plus, la France sera, et quand la France ne sera plus,
l'humanité sera encore, et éternellement l'on dira: «Autrefois, il y eut un
noble pays, sympathique à toutes les belles choses, dont la destinée fut de
souffrir par l'humanité et de combattre pour elle.» Ce jour-là le plus
humble paysan qui n'a eu que deux pas à faire de sa cabane au tombeau,
vivra comme nous dans ce grand nom immortel; il aura fourni sa petite part
à cette grande résultante. Et quand l'humanité ne sera plus. Dieu sera, et
l'humanité aura contribué à le faire, et dans son vaste sein se retrouvera
toute vie, et alors il sera vrai à la lettre que pas un verre d'eau3, pas une
parole qui aura servi l'œuvre divine du progrès ne sera perdue *.

L'Avenir de la Science, XII (1848).
Примечания:


1. Через несколько лет Ренан утратит веру. 2. Я перенес свой шатер (в переносном
смысле).
3. Отсылка к Евангелию: "И кто напоит малых сих только чашею холодной
воды..." ( Матф., X, 42.)

Вопросы:

* A travers une anecdote d'une gracieuse simplicité, Renan s'élève aux plus hautes
cimes. Appréciex cette
éloquence sans effort. — Dans quelle mesure cette philosophie du
Devenir a-t-elle subi l'influence de la pensée allemande, telle qu'elle s'exprime notamment (
chez Hegel?

CHARLES PÉQUY (1873-1914)

L'ŒUVRE, ou plutôt l'action de CHARLES PÉGUY constitue un moment capital
dans l'histoire de la conscience française. Car Péguy, c'est le socialisme et la
foi chrétienne réconciliés, c'est la certitude qu'entre la Justice sociale et l'esprit
de Charité il n'y a pas opposition, mais, bien au contraire, une indissoluble


fraternité...

D'ailleurs, quand, après sa conversion, il se tourne vers ses années de jeunesse
où il a passionnément combattu dans les rangs des défenseurs de Dreyfus (v. p.
105, n. 1), il n'éprouve aucun regret, aucun besoin de se désavouer: c'était cette
même «religion de la pauvreté temporelle» qui déjà l'appelait.


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SOCIALISME ET CHARITÉ (1910)

Notre dreyfusisme' était une religion, je prends le mot dans son sens le
plus littéralement exact, une poussée religieuse, une crise religieuse, et je
conseillerais même vivement à quiconque voudrait étudier, considérer,
connaître un mouvement religieux dans les temps modernes, bien
caractérisé, bien délimité, bien taillé, de saisir cet exemple unique. J'ajoute
que pour nous, chez nous, en nous, ce mouvement religieux était d'essence
chrétienne, d'origine chrétienne, qu'il poussait de souche chrétienne, qu'il
coulait de l'antique source. Nous pouvons aujourd'hui nous rendre ce
témoignage. La Justice et la Vérité que nous avons tant aimées, à qui nous
avons donné tout, notre jeunesse, tout, à qui nous nous sommes donnés tout
entiers pendant tout le temps de notre jeunesse, n'étaient point des vérités
et des justices de concept2, elles n'étaient point des justices et des vérités
mortes, elles n'étaient point des justices et des vérités de livres et de biblio-
thèques, elles n'étaient point des justices et des vérités conceptuelles, intel-
lectuelles, des justices et des vérités de parti intellectuel, mais elles étaient
organiques', elles étaient chrétiennes, elles n'étaient nullement modernes,
elles étaient éternelles et non point temporelles seulement, elles étaient des
Justices et des Vérités, une Justice et une Vérité vivantes. Et de tous les
sentiments qui ensemble nous poussèrent, dans un tremblement, dans cette
crise unique4, aujourd'hui nous pouvons avouer que de toutes les passions
qui nous poussèrent dans cette ardeur et dans ce bouillonnement, dans ce
gonflement et dans ce tumulte, une vertu était au cœur, et que c'était la
vertu de charité. (...) Il est incontestable que dans tout notre socialisme
même il y avait infiniment plus de christianisme que dans toute la
Madeleine5 ensemble avec Saint-Pierre-de-Chaillot5, et Saint-Philippe-du-
Roule5 et Saint-Honoré-d'Eylau5 II était essentiellement une religion de la
pauvreté temporelle6 C'est donc, c'est assurément la religion qui sera
jamais7 la moins célébrée dans les temps modernes. Infiniment,
d'infiniment la moins chômée8. Nous en avons été marqués si durement, si
ineffaçablement, nous en avons reçu une empreinte, une si dure marque, si
indélébile que nous en resterons marqués pour toute notre vie temporelle,
et pour l'autre. Notre socialisme n'a jamais été ni un socialisme
parlementaire ni un socialisme de paroisse riche. Notre christianisme ne
sera jamais ni un christianisme parlementaire ni un christianisme de
paroisse riche. Nous avions reçu dès lors une telle vocation de 1p. pauvreté,
de la misère même, si profonde, si intérieure, et en même temps si
historique, si éventuelle, si événementaire9 que depuis nous n'avons jamais

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pu nous en tirer, que je commence à croire que nous ne pourrons nous en
tirer jamais. C'est une sorte de vocation. Une destination*.

Notre Jeunesse (1910).
Примечания:


1. Дрейфусарство. Дрейфусарами называли тех, кто верил в невиновность капи-
тана Дрейфуса, осужденного за государственную измену. 2 Простыми понятиями
справедливости и истины. 3. Присущими нашему организму. 4. Дело Дрейфуса разде-
лило Францию на два противоположных, почти враждебных лагеря 5. Церкви, распо-
ложенные в богатых кварталах Парижа. 6. Мирская бедность, не имеющая отношения
к религии. 7. A jamais, pour toujours. 8. Праздники которой будут менее всего праздно-
ваться. 9. Trois adjectifs signifiant que cette vocation fut le fait des circonstances, des
événements

Вопросы:

* Nous avons ici un style procédant par bonds et par élans, à l'image de la vie
intérieure elle-même, et, comme elle, fait de
retours et de corrections. Donnez-en des
exemples.
Comment certains courants de la pensée catholique moderne procèdent-ils de
Péguy?


ANDRÉ GIDE (1869-1951)

il ne faut pas exagérer l'importance des Nourritures terrestres (1897) dans
l'œuvre d'ANDRÉ GIDE. L'auteur lui-même a souligné qu'il s'agissait d'un livre
de jeunesse, écrit par un «convalescent» tout enivré de se découvrir guéri.
Pourtant, c'est cette merveilleuse ivresse, cette joie débordante de sentir couler
dans ses veines l'inépuisable ruissellement de la vie qui ont fait le succès de
l'ouvrage. Et, s'il y a parfois quelque excès dans le paganisme frénétique qui
s'en dégage. Les Nourritures terrestres n'en ont pas moins inspiré à toute une
génération l'impérieux besoin, selon le mot de Gide lui-même, d'une «disponi-
bilité
» sans limite...


ÊTRE TOUJOURS TOUT ENTIER DISPONIBLE...

A dix-huit ans, quand j'eus fini mes premières études, l'esprit las de
travail, le cœur inoccupé, languissant de l'être, le corps exaspéré par la
contrainte, je partis sur les routes, sans but, usant ma fièvre vagabonde. Je
connus tout ce que vous savez: le printemps, l'odeur de la terre, la floraison

411

des herbes dans les champs, les brumes du matin sur la rivière, et la vapeur
du soir sur les prairies. Je traversai des villes, et ne voulus m'arrêter nulle
part. Heureux, pensais-je, qui ne s'attache à rien sur la terre et promène une
éternelle ferveur2 à travers les constantes mobilités. Je haïssais les foyers,
les familles, tous lieux où l'homme pense trouver un repos; et les affections
continues, et les fidélités amoureuses, et les attachements aux idées — tout
ce qui compromet la justice —; je disais que chaque nouveauté doit nous
trouver toujours tout entiers disponibles (...).

Chaque jour, d'heure en heure, je ne cherchais plus rien qu'une pénétra-
tion toujours plus simple de la nature. Je possédais le don précieux de
n'être pas trop entravé par moi-même. Le souvenir du passé n'avait de force
sur moi que ce qu'il en fallait pour donner à ma vie l'unité: c'était comme le
fil mystérieux qui reliait Thésée à son amour passé, mais ne l'empêchait
pas de marcher à travers les plus nouveaux paysages. Encore ce fil dut-il
être rompu... Palingénésies4 merveilleuses! Je savourais souvent, dans mes
courses du matin, le sentiment d'un nouvel être, la tendresse de ma
perception. «Don du poète, m'écriais-je, tu es le don de perpétuelle ren-
contre» — et j'accueillais de toutes parts. Mon âme était l'auberge ouverte
au carrefour; ce qui voulait entrer, entrait*.

Les Nourritures terrestres. Livre IV (1897).
Примечания:


1. Букв, запас, резерв. Имеется в виду способность воспринимать все идеи и чув-
ства, на которых вырастает, воспитывается человек. 2. Пыл, страсть. Это слово очень
любимо Жидом, который неоднократно восклицает: «Nathanaël, je t'enseignerai la
ferveur...» 3. Нить Ариадны, благодаря которой Тезей вышел из лабиринта. 4. Палин-
генез (греч.) — возвращение к жизни, возрождение.

Вопросы:

* Montrez qu'il s'agit ici moins d'une page de pensée que d'une sorte d'effusion lyrique.
Quel genre de séduction a-t-elle pu exercer sur la génération contemporaine d'André Gide?

GEORGES DUHAMEL (1884 1966)

Pas plus que Charles Péguy ou qu'André Gide, GEORGES DUHAMEL n'est un
«penseur» de profession. Mais, pourvu d'une sensibilité vive et profonde, il
a pris une position de philosophe en protestant avec véhémence contre les


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du progrès industriel (Scènes de la Vie future) et leurs horribles conséquences
en temps de guerre (Vie des Martyrs). A ses yeux, la Civilisation ne réside point
dans les perfectionnements du machinisme, mais dans la sauvegarde des
grands sentiments humains...


CIVILISATION

Il faudrait d'abord savoir ce que vous appelez civilisation. Je peux bien
vous demander cela à vous, d'abord parce que vous êtes un homme
intelligent et instruit, ensuite parce que vous en parlez tout le temps, de
cette fameuse civilisation.

Avant la guerre, j'étais préparateur dans un laboratoire industriel. C'était
une bonne petite place; mais je vous assure que si j'ai le triste avantage de
sortir vivant de cette catastrophe1 je ne retournerai pas là-dedans. La
campagne! La pure cambrouse2! Quelque part bien loin de toutes les sales
usines, un endroit où je n'entende plus jamais grogner vos aéroplanes et
toutes vos machines qui m'amusaient naguère, quand je ne comprenais rien
à rien, mais qui me font horreur maintenant, parce qu'elles sont l'esprit
même de cette guerre, le principe et la. raison de cette guerre!

Je hais le xxe siècle, comme je hais l'Europe pourrie et le monde entier,
sur lequel cette malheureuse Europe s'est étalée, à la façon d'une tache de
cambouis3. Je sais bien que c'est un peu ridicule de sortir de grandes
phrases comme cela; mais bah! je ne raconte pas ces choses à tout le
monde, et puis, autant ce ridicule-là qu'un autre! Je vous le dis, j'irai dans
la montagne et je m'arrangerai pour être aussi seul que possible (...).

Croyez-le bien, monsieur, quand je parle avec pitié de la civilisation, je
sais ce que je dis; et ce n'est pas la télégraphie sans fil qui me fera revenu-
sur mon opinion. C'est d'autant plus triste qu'il n'y a rien à faire: on ne
remonte pas une pente comme celle sur laquelle roule désormais le monde.

Et pourtant!

La civilisation, la vraie, j'y pense souvent. C'est, dans mon esprit,
comme un chœur de voix harmonieuses chantant un hymne, c'est une statue
de marbre sur une colline desséchée, c'est un homme qui dirait: «Aimez-
vous les uns les autres!» ou: «Rendez le bien pour le mal!» Mais il y a près
de deux mille ans qu'on ne fait plus que répéter ces choses-là (...).

On se trompe sur le bonheur et sur le bien. Les âmes les plus généreuses
se trompent aussi, parce que le silence et la solitude leur sont trop souvent
refusés. J'ai bien regardé l'autoclave4 monstrueux sur son trône. Je vous le
dis, en vérité, la civilisation n'est pas dans cet objet, pas plus que dans les

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pinces brillantes dont se servait le chirurgien. La civilisation n'est pas dans
toute cette pacotille terrible; et, si elle n'est pas dans le cœur de l'homme,
eh bien, elle n'est nulle part*.

Civilisation (1918)..