Курс французского языка в четырех томах

Вид материалаДокументы

Содержание


La cathédrale de chartres
L'architecture de la renaissance
Les châteaux de la loire
Le Bocage royal
Charles péguy.
La semaine des arbres a versailles
Henri de regnier.
Le corbusier
L'architecture au service de l'homme
Auguste rodin
Les bourgeois de calais
Les Bourgeois de Calais
Des Artistes.
Notes sur antoine bourdelle
Подобный материал:
1   ...   24   25   26   27   28   29   30   31   32

cathédrale êothique a suscité toute une littérature. Et certes, les mots ne
manquent pas pour célébrer ces immenses oraisons de pierre, que la foi médié-
vale a lancées de la glèbe vers le ciel...

Mais cette fois, l'architecture n'est pas seule en cause: les statues, les rosaces
décoratives, les verrières témoignent, elles aussi, en faveur d'un art presque
surhumain à force de noblesse et de spiritualité.


LA CATHÉDRALE DE CHARTRES

Cette basilique, elle était1 le suprême effort de la matière cherchant à
s'alléger, rejetant, tel qu'un lest, le poids aminci de ses murs, les remplaçant
par une substance moins pesante et plus lucide, substituant à l'opacité de
ses pierres l'épiderme diaphane2 des vitres.

Elle se spiritualisait, se faisait tout âme, tout prière, lorsqu'elle s'élançait
vers le Seigneur pour le rejoindre; légère et gracile, presque impondérable,
elle était l'expression la plus magnifique de, la beauté qui s'évade de sa
gangue' terrestre, de la beauté qui se séraphise4. Elle était grêle et pâle
comme ces Vierges de Roger Van der Weyden qui sont si filiformes, si
fluettes, qu'elles s'envoleraient si elles n'étaient en quelque sorte retenues
-ici-bas par le poids de leurs brocarts5 et de leur traîne. C'était la même
conception mystique d'un corps fuselé, tout en longueur, et d'une âme
ardente qui, ne pouvant se débarrasser complètement de ce corps, tentait de
l'épurer, en le réduisant, en l'amenuisant, en le rendant presque fluide*.

Elle stupéfiait avec l'essor éperdu de ses voûtes et la folle splendeur de
ses vitres. Le temps était couvert et cependant toute la fournaise de
pierreries brûlait dans les lames des ogives, dans les sphères embrasées des
rosés6

Là-haut, dans l'espace, tels que des salamandres7 des êtres humains,
avec des visages en ignition8 et des robes en braises, vivaient dans un
firmament de feu; mais ces incendies étaient circonscrits, limités par un
cadre incombustible de verres plus foncés qui refoulait la joie jeune et
claire des flammes, par cette espèce de mélancolie, par cette apparence de
côté plus sérieux et plus âge que dégagent les couleurs sombres. L'hallali9
des rouges, la sécurité limpide des blancs, l'alléluia répété des jaunes, la
gloire virginale desbleus, tout le foyer trépidant des verrières s'éteignait
quand il s'approchait de cette bordure teinte avec desrouilles de fer, des
roux de sauces, des violets rudes de grès, des verts de bouteille, des bruns

425

d'amadou10 des noirs de fuligine", des gris de cendre**.

Et, ainsi qu'à Bourges, dont la vitrerie est de la même époque,
l'influence de l'Orient était visible dans les panneaux de Chartres, Outre
que les personnages avaient l'aspect hiératique12, la tournure somptueuse ei
barbare des figures de l'Asie, les cadres, par leur dessin, par l'agencemeni
de leurs tons, évoquaient le souvenir des tapis persans qui avaient
certainement fourni des modèles aux peintres, car l'on sait, par le Livre des
métiers, qu'au xiiiA siècle l'on fabriquait en France, à Paris même, des tapis
imités de ceux qui furent amenés du Levant par les Croisés.

Mais en dehors même des sujets et des cadres, les couleurs de ces
tableaux n'étaient, pour ainsi dire, que des foules accessoires, que des
servantes destinées à faire valoir une autre couleur, le bleu: un bleu
splendide, inouï, de saphir13 rutilant, extra-lucide, un bleu clair et aigu qui
étincelait partout, scintillait comme en des verres remués de
kaléidoscope14, dans les verrières, dans les rosaces des transepts, dans les
fenêtres du porche royal où s'allumait, sous des grilles de fer noir, la
flamme azurée des soufres.

En somme, avec la teinte de ses pierres, et de ses vitres, Notre-Dame de
Chartres était une blonde aux yeux bleus. Elle se personnifiait en une sorte
de fée pâle, en une Vierge mince et longue, aux grands yeux d'azur ouverts
dans les paupières en clarté de ses rosés; elle était la mère d'un Christ du
Nord, d'un Christ de primitif des Flandres, trônant dans l'outremer d'un ciel
et entourée, ainsi qu'un rappel touchant des Croisades, de ces tapis
orientaux de verre.

Et ils étaient, ces tapis diaphanes, des bouquets fleurant le santal15 et le
poivre, embaumant les subtiles épiées des Rois Mages; ils étaient une
floraison parfumée de nuances cueillie — au prix de tant de sang! — dans
les prés de la Palestine, et que l'Occident, qui les rapporta, offrait à la
Madone, sous le froid climat de Chartres, en souvenir de ces pays du soleil
où Elle vécut et où Son fils voulut naître***.

J.-K. huysmans. La Cathédrale (1898).
Примечания:


1. Герой романа осматривает базилику, чем объясняется использование глаголь-
ного времени imparfait. 2. Просвечивающая, прозрачная. 3. Порода, заключающая в
себе минерал или драгоценный камень. 4. Становится подобной красоте серафимов
5. Парчи. 6. Розы, круглые многоцветные витражи. 7. По древнему поверью, саламан-
дры способны жить в пламени. 8. В пламени. 9. Звук охотничьего рога, возвещающий,
что олень затравлен. Здесь Гюисманс следует принятому в символизме соответствию

426

между цветом и звуком. 10. Трут: из истлевшего трута готовилась темно-коричневая
краска. 11. Сажа: шла на изготовление черной краски. 12. Иератический, т.е. величест-
венно-строгий. 13. Драгоценный камень синего цвета. 14. Калейдоскопа. 15 Сандал,
кустарник с ароматной древесиной. Витражи наводят на мысль о Востоке и восточных
благовониях.

Вопросы:

* Relever et étudier tous les termes employés ici pour traduire la beauté presque
immatérielle lie la cathédrale.


** Par quels procédés l'écrivain parvient-il à rendre sensible le flamboiement des
vitraux?


*** On essaiera de caractériser le style de Huysmans d'après cette page.

L'ARCHITECTURE DE LA RENAISSANCE

dans cette France littéralement couverte de monuments de toute sorte, il est
une région plus favorisée encore que les autres et qui est comme un des
sanctuaires de l'architecture nationale: c'est cette vallée de la Loire, au ion о
de laquelle la Renaissance paraît avoir accumulé, comme à plaisir, une
floraison de châteaux. Au fait, il doit y avoir là plus qu'une coïncidence: la
rencontre quasi nécessaire d'un paysage et d'un art faits l'un pour l'autre,
puisque épris de la même lumière et se mirant dans les ondes du même fleuve...


/

LES CHÂTEAUX DE LA LOIRE

Les admirables châteaux de l'admirable vallée; plus que double rangée,
non pas double rangée s double lignée, double longée, double cortège,
double jonchée de châteaux1, fleuve que l'on dit qui n'est pas navigable, et
qui porte plus de palais que les autres ne traînent de péniches; quelle autre
vallée dans le creux penché de ses rebords enferme autant de merveilles?
quel autre fleuve a pu se faire un tel cortège royal, fleuve mouvant, de
splendeurs immobilières2? amours de Cassandre; amours de Marie; amours
d'Astrée; poésies pour Hélène; amours diverses; odes; églogues; élégies
hymnes; poèmes; Gaietés; poésies alverses; Le Bocage royal ~ tant de
sonnets, parfaits, tant de poèmes, parfaits; la pureté même; la ligne et la
teinte; châteaux eux-mêmes; châteaux et palais de langage français; et dans
le même temps, dans le même pays, dans la même vallée, du même geste,

427

delà même éclosion, du même langage, du même style, cîiàteaux du même
langage français, châteaux et palais de pierres et de briques; doubles
architectures, architectures parallèles; sonnets et poèmes qui sont des
châteaux et des palais; châteaux et palais qui êtes des sonnets et des
poèmes; même langage, également parfait, en deux systèmes, en un
système de pierre et de brique, en un système de mots et de phrases; même
rythme en deux systèmes de monuments — sont-ils également
impérissables? — qui disent la même parole de courtoisie en deux modes,
solides monuments de pierre et de brique, mêmes et également solides
monuments de mots et de phrases, et obéissant aux lois de la même
pesanteur.

Fleurs, feuilles, dentelles, robes et traînes de pierre; fleurs, feuilles,
dentelles, robes et traînes de mots (...).

Fleuve qui chante éternellement le poème de la solitude et de la
tranquillité infinie, le seul pourtant qui ait une cour, le seul qui par une
merveilleuse contradiction intérieure vive en effet dans la solitude la plus
éternelle, dans la quiétude et dans la tranquillité la plus infinie, dans la paix
du cœur et dans le noble seul et seul digne silence, et qui dans le même
temps et pourtant, par une admirable contrariété intime, est aussi le seul qui
se soit fait plus qu'un cortège, plus qu'une cour: le seul qui ait pu se faire
tout un peuple4 de châteaux*.

CHARLES PÉGUY. Situations (1906-1907).
Примечания:


I. Rangée évoque seulement des objets immobiles, tandis que lignée évoque la naissance
noble; longée, la promenade; cortège, la procession royale; jonchée, la dispersion sur le sol.
  1. Букв, образованные недвижимым, т.е. зданиями. Поэт соединяет здесь идеи непо-
    движного и движущегося (замки формируют реку, текущую перед нашими глазами).
  2. Перечисляются названия произведений (за исключением "Amours d'Astrée") и цик-
    лов стихов, написанных Ронсаром, уроженцем здешних мест, а также поэтических
    жанров, которые он использовал. 4. Il y a gradation entre cortège, cour, peuple сви-
    той, двором, население.».


Вопросы:

* Cherchez dans l'œuvre de Ronsard et dans les châteaux de la Loire dts exemptes
illustrant la comparaison, l'assimilation faite par Péguy.
Étudiez le style de cette page,
fait de retours et de reprises, expression d'un soin, d'un scrupule qui ne veulent rien perdre
de la vérité. — Rapprochel Péguy prosateur de Péguy poète (cf. supra: «Adieux à la
Meuse» ).


428

VERSAILLES

En majesté, il paraît impossible de surpasser Versailles. Qu'il s'agisse des
bâtiments ou des jardins, des escaliers ou des pièces d'eau, des allées, des
perspectives ou des marbres, tout y respire la noblesse, la somptuosité. C'est à
peine si les Trianons, avec leurs colonnes d'un rosé un peu passé, et le
mélancolique Hameau de Marie-Antoinette apportent une note d'abandon,
voire de nonchalance, à un ensemble d'une infaillible sûreté. Mais, plus encore
que le château, qui sans doute impose à l'excès, c'est le parc et la prodigieuse
géométrie dessinée par Le Nôtre qui aujourd'hui suscitent notre admiration.


LA SEMAINE DES ARBRES A VERSAILLES

Chaque année, durant une semaine environ, a lieu à Versailles une fête
silencieuse et magnifique. Pour y assister, il n'est besoin d'aucune
autorisation et d'aucun privilège. Elle est publique et naturelle. Il suffit,
pour en être librement témoin, de franchir la haute grille dorée qui sépare
la place d'Armes de la Cour d'honneur, dont le sol, inégal et dur aux pas,
est doux à l'œil par les nuances délicates et variées de ses pavés de grès, de
longer la chapelle, de traverser le vestibule et de s'avancer jusqu'au parterre
d'eau qui mire en ses bassins plats ses nobles statues de bronze, et d'où l'on
domine un des plus admirables spectacles qu'il soit possible de contempler.
Quelles que soient, en effet, l'heure et la saison, c'est toujours un lieu
sans pareil que ces jardins de Versailles, avec leur double rampe
harmonieuse et leur perspective que termine le Grand Canal1 et qu'encadré
l'ombrage régulier des arbres; mais il est un instant où ils atteignent une
beauté insolite et particulièrement splendide, et où ils donnent aux yeux
une fête incomparable et qui est comme le moment de leur gloire suprême
et parfaite, celui où l'automne, prince de l'année, les visite et y promène sa
mélancolie sous sa couronne de feuilles d'or.

A Versailles, l'automne est souverain. Son sceptre y crée une féerie.
Pour le recevoir, les arbres se teintent des plus riches et des plus
somptueuses couleurs, se dorent, s'empourprent de feuillages fastueux,
jonchent les allées et les bassins, emplissent la solitude de l'éclat de leur
parure. Jamais Versailles n'est plus royal qu'en ces jours d'apothéose, qui
durent peu et qu'il ne faut pas laisser passer sans en aller admirer
l'éblouissante brièveté, car c'en est bientôt fait de cette prodigieuse
pyrotechnie végétale*. Comme un feu d'artifice, auquel elle ressemble, il
n'en reste bientôt plus que des branches noires et dénudées. Le prestige
s'est évanoui. La splendeur s'est éteinte. La semaine des arbres est
terminée**.

HENRI DE REGNIER. Sujets et Paysages (1906).

. 429

Примечания:

1. В то время каналом называли любой водоем правильной формы.

Вопросы:

* On expliquera et on justifiera cette curieuse expression.

** Montrex que le vocabulaire s'ordonne essentiellement autour de l'idée de faste, de
magnificence.


LE CORBUSIER

Par ses réalisations audacieuses comme -par les nombreux ouvrages où il
a exposé ses conceptions, Le Corbusier (Suisse d'origine, mais Français de
culture, et d'ailleurs naturalisé) s'inscrit en tête des architectes de notre temps.
Entre tous les mérites de ce grand créateur, le plus frappant est sans doute son
effort incessant pour mettre une technique révolutionnaire au service de la
simple humanité.


L'ARCHITECTURE AU SERVICE DE L'HOMME

Sans avoir jamais voulu m'opposer à Auguste Perret1 mais, au contraire,
bénéficiant de son effort, je me suis très particulièrement penché sur le
problème: logis-urbanisme, binôme2 indissociable. Je l'ai exploré selon une
règle acquise hors des écoles: du dedans au dehors, règle qui m'apparaît
être loi de la nature comme aussi bien de l'architecture.

Illustrons:

L'homme (cet homme qui est toujours, devant moi, avec ses dimensions,
ses sens, son affectivité) est assis à sa table; ses yeux se posent sur les
objets qui l'entourent: meubles, tapis, rideaux, tableaux ou photographies et
maints objets auxquels il attache signification. Une lampe l'éclairé ou le
soleil qui pénètre par la fenêtre, séparant l'ombre de la lumière, opposant
ces deux extrêmes lourds de réaction sur notre physique et notre
psychique: le clair et l'obscur. Les murs d'une chambre se referment sur lui
et sur ses agencements. Notre homme se lève marche, quitte la chambre,
passe ailleurs, n'importe où. Le voici ouvrant la porte du logis, sortant de
chez lui. Il est encore dans une maison: un corridor, des escaliers, un
ascenseur... Le voici dans la rue. Comment est fait ce dehors: hostile ou
accueillant? Sûr ou dangereux? L'homme est dans les rues de là ville, et le
voici, après certains actes successifs, hors de la ville, dans la campagne.

430

Pas une secoi'nde, l'architecture ne l'a quitté: meubles, chambre, lumière
solaire ou artificielle, respiration et température, disposition et services de
son logis; la maison; la rue; le site urbain; la ville; la palpitation de la ville;
la campagne, ses chemins, ses ponts, verdure et ciel, nature.

Architecture et urbanisme ont véritablement réagi sur tous ses gestes.
Architecture en tout: sa chaise et sa table, ses murs et ses chambres, son
escalier ou son ascenseur, sa rue, sa ville. Enchantement ou banalité, ou
ennui. Horreur même possible en ces choses. Beauté ou laideur. Bonheur
ou malheur. Ur''banisme en tout, dès qu'il s'est levé de sa chaise: lieux de
son logis, lieux de son quartier; le spectacle de ses fenêtres apprêté par les
édiles3; la vie de la rue; le dessin de la ville*.

Vous sentez: bien qu'il n'est pas un instant où la vigilance, la tendresse
aient pu faire défaut. Vous discernez bien cette vocation fraternelle de
l'architecture et de l'urbanisme au service de notre frère homme. Besoins
matériels, appétits spirituels, tout peut être comblé par cette architecture et
cet urbanisme ;attentifs. Vous sentez l'unité des fonctions, la totalité de la
responsabilité, la grandeur de la mission architecture et urbanisme.

Mais beaucoup n'ont pas mesuré qu'il s'agit en effet, ici, d'une attention
fraternelle
portée à autrui. Que l'architecture est une mission réclamant de
ses servants la vocation. Que, vouée au bien du logis (et le logis abritant
après les hommes, le travail, les choses, les institutions, les pensées),
l'architecture est un acte d'amour et non une mise en scène. Que s'adonner à
l'architecture, en ces temps-ci de translation d'une civilisation déchue dans
une civilisation nouvelle, c'est comme entrer en religion, c'est croire, c'est
se consacrer, с 'est se donner**.

LE CORBUSIER.Enfrefien avec les étudiants des écoles d'architecture (1943).

Примечания.:

1. Знаменитый архитектор, в частности, автор театра "На Елисейских полях" в Па-
риже. 2. Алгебраический термин: двучлен. 3. Членами городского управления, муни-
ципалитета.

Вопросы:

* Qu'v a-t-il d'expressif dans le style de ce paragraphe?

** N'y a-t-il pas eu d'autres époques, où l'architecture, précisément, a pris un caractère
profondément religieux?


431

AUGUSTE RODIN (1840-1917)

en un pays qui a vu naître Jean Goujon, Germain Pilon, Puget, Pigalle, Rude
et Bourd-elle, Auguste Rodin occupe incontestablement la première place. Et
pourtant le succès n'a point souri aussitôt aux efforts de l'artiste, qui heurtait
avec trop de témérité les formules académiques. D'où le scandale suscité par
des œuvres grandioses telles que L'Age d'Airain'ou la statue de Balzac.
Rodin a été un visionnaire de la sculpture. Un créateur dont la puissance et
l'ambition dépassaient parfois les possibilités d'un art rudement enchaîné à la
matière. Un esprit assoiffé de grandeur, et en même temps un frère de la misère
humaine.


LES BOURGEOIS DE CALAIS

Sur la place publique de la ville vaincue, affamée et sans armes, les six
bourgeois ont délibéré. Pour sauver la ville de la ruine et leurs concitoyens
de la mort, ils ont fait le sacrifice de leur vie, et ils vont se livrer au roi
d'Angleterre1. Le monument de Rodin, ce n'est pas autre chose, dans un
miracle d'exécution, que l'instant précis de cet héroïsme, unanimement
accepté par les six bourgeois, mais différemment ressenti, selon la diffé-
rence des caractères qui agissent en ce drame. Les vieillards, décharnés par
les longues privations d'un siège, redressent leurs tailles en attitudes
hautaines, presque provocantes, ou bien se résignent noblement. Les jeunes
se retournent vers la ville, laissant derrière eux, dans un suprême regard, le
regret de cette vie, à peine commencée et dont ils ne connaissent que les
joies... Et le mouvement, les attitudes, les expressions sont si justes, d'un
sentiment humain si vrai que, derrière le groupe, prêt à se mettre en
marche, on entend réellement le bourdonnement de la foule qui encourage
et qui pleure, les acclamations et les adieux. Nulle autre complication, nul
souci scénique du groupement; aucune allégorie, pas un attribut2. Il n'y
a que des formes, expressives et belles, si expressives qu'elles deviennent,
véritablement, des états d'âme. Les bourgeois partent, et le drame vous
secoue de la nuque aux talons.

Ce que j'ai fait pour Les Bourgeois de Calais, on peut le faire pour
chaque figure d'Auguste Rodin. (...) Son génie, ce n'est pas seulement de
nous avoir donné d'immortels chefs-d'œuvre, c'est d'avoir fait, sculpteur, de
la sculpture, c'est-à-dire d'avoir retrouvé un art admirable et qu'on ne
connaissait plus.

Et ce qu'il y a de poignant dans les figures de Rodin, ce par quoi, en
dehors même et peut-être à cause de leur propre beauté sculpturale, elles

432

nous touchent si violemment, c'est que nous nous reconnaissons en elles, et
qu'elles sont, comme le disait Stéphane Mallarmé, «nos douloureux
camarades*».

octave mirbeau. Des Artistes.

Примечания:

1. Эдуарду III (1312 - 1377). Осада Кале происходила во время Столетней войны.
2 Деталь, конкретно определяющая социальное положение, профессию и т.п.

Вопросы:

* Appréciez la justesse de cette page d'Octave Mirbeau, par comparaison avec la photo
de la page précédente.
Connaissez-vous d'autres œuvres de Rodin, où la -puissance ne
s'exprime plus d'une façon aussi littéralement descriptive?


NOTES SUR ANTOINE BOURDELLE

(1861-1929)

BOURDELLE n'a pas été seulement un des -plus grands sculpteurs de notre
temps. Comme un Léonard de Vinci ou un Michel-Ange, c'était aussi un