Расколотая цивилизация. Наличествующие предпосылки и возможные последствия постэкономической революции

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une coopération optimale avec le reste du monde dans le contexte d'une concurrence sans merci sur les marchés mondiaux; par la suite, ils devront, pendant une période pas moins longue, former un modèle de retrait optimal du reste du monde, inévitable lorsque la plupart des autres pays ne peuvent concurrencer l'Occident dans les domaines où sa prédominance est indubitable. De son côté, cette étape s'achèvera par la formation d'une nouvelle structure universelle caractérisée par la prééminence non seulement économique et financière, mais aussi politique du monde occidental sur les autres parties de la planète. L'ordre de cette structure, nous l'appelons conventionnellement restauration du colonialisme.

Cette approche ne doit pas signifier que dans les conditions modernes la civilisation postindustrielle ne se heurtera pas à de graves problèmes tant dans ses rapports avec le reste du monde que dans sa propre évolution. En vertu des circonstances qui aujourd'hui apparaissent au premier plan, nous estimons, d'un côté, que les rapports des pays postindustriels avec les Etats les plus touchés par la crise du modèle de développement dit “rattrapant” et qui pour toute une série de facteurs - agressivité et imprévisibilité des régimes au pouvoir, danger écologique qui émane d'eux, extrémisme religieux ou ethnique qu'ils diffusent - présentent une menace pour le reste de l'humanité. Etant donné que nous considérons que dans le monde contemporain rien ne saurait justifier des actions violentes entreprises par un Etat ou une coalition de pays contre d'autres - hormis une riposte à une agression flagrante - la difficulté de la tâche est conditionnée par la nécessité d'élaborer des mesures non-violentes de pressions économiques et financières sur de tels pays. Pour pouvoir évaluer de manière précise les possibilités qui se présentent dans ce domaine, il convient d'étudier plus en détail l'évolution économique des Etats victimes des deux vagues de la transformation postindustrielle; cela montrera dans quelle mesure ils étaient et restent dépendants des puissances occidentales et nous aidera aussi à définir la stratégie de coopération entre les premiers et les seconds. De l'autre côté, le développement harmonieux des pays postindustriels demeure lui aussi un problème important. Ces dernières années, ils ont inscrit à leur actif de substantiels succès économiques: autoreproduction du progrès technologique, résorption de l'inflation, réduction du déficit budgétaire et de la dette publique. Malgré cela et partiellement consécutivement aux facteurs sus-men-tionnés, le problème de l'inégalité patrimoniale sociale, généré par le progrès technique et le passage à l'économie informatisée, est devenu bien plus actuel et compliqué. Nous assistons à la formation de nouveaux principes de stratification sociale, qui peuvent dans un proche avenir amener à la mise en place d'une structure sociale se différenciant qualitativement de toutes les autres connues jusqu'ici. L'appartenance de l'homme à la classe supérieure de la société nouvelle, conformément à son aptitude à assimiler et à produire les connaissances non seulement réduit le degré de dépendance des couches sociales supérieures des inférieures, mais dans le même temps elle fait de la classe dominante une classe dans une grande mesure héréditaire étant donné que, d'un côté, l'aptitude à l'activité intellectuelle se transmet de génération à génération et, de l'autre, les motivations de l'individu qui déterminent son appartenance à la classe supérieure se forment dès le plus jeune âge et pratiquement restent les mêmes jusqu'à la fin de l'existence.

De nos jours le problème de l'inégalité grandissante entre les différentes régions du monde retient davantage l'attention que les contradictions sociales qui mûrissent au sein des pays développés. Les événements dramatiques qui se sont produits ces trente dernières années, surtout ceux des années 90, attestent assez nettement que de nos jours toutes les prémisses existent pour la formation d'un monde monopolaire dans lequel le rôle dominant appartiendra aux principaux centres de la civilisation postéconomique. Ce fait peut être considéré comme positif ou négatif, on peut le saluer ou le déplorer, cependant quelle que soit l'approche émotionnelle que nous adoptions, la réalité ne permet pas de douter que les sociétés postindustrielles possèdent suffisamment de possibilités pour pouvoir exercer une pression économique, politique et même militaire sur le reste du monde, ce qui était inimaginable auparavant.

L'analyse des problèmes auxquels sont confrontés aujourd'hui les pays qui tentent, au moyen de modèles de développement accéléré, de rejoindre la famille des premières puissances économiques mondiales, montre qu'en ce qui concerne plusieurs paramètres importants ces Etats se distinguent foncièrement les uns des autres. Certains d'entre eux visaient la renaissance nationale, d'autres étaient prisonniers de dogmes idéologiques, d'autres encore recherchaient la prédominance politique et militaire dans leurs régions. En attendant, dans leur cheminement historique tous ont commis et ne pouvaient pas ne pas commettre une erreur fondamentale, celle de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur le rôle de la personnalité et son potentiel créateur. C'est précisément la raison pour laquelle le progrès était associé surtout à l'expansion industrielle, à la richesse (accumulation de réserves financières) et au potentiel économique (fonds fixes implantés massivement et ressources naturelles accessibles). Aussi supposait-on alors que la société d'avant-garde pouvait être édifiée selon un schéma prétracé, en subordonnant toutes les potentialités de l'Etat et de ses citoyens à cette tâche. C'est pour cette raison que le système démocratique, respectant les droits et les libertés du peuple, ne s'est pleinement inscrit dans aucun des principes du développement dit “rattrapant”. Tous ces facteurs nous permettent d'interpréter tant les succès du modèle de développement “rattrapant” dans la création de structures industrielles mûres, que leur incapacité à assurer le passage à un degré de développement plus élevé, où ni la contrainte directe, ni l'argent ne peuvent se substituer à l'activité inspirée de l'homme, inhérente au type postéconomique de civilisation.

Cependant, la question de principe de nos jours est de savoir non pas si les Etats ayant opté pour le développement accéléré auraient pu fusionner avec le monde postindustriel - une réponse négative ici nous semble évidente - mais à quoi ont abouti ces pays et quel type de coopération entre eux et le monde postéconomique naissant caractérisera le prochain siècle. Présentement, nous ne sommes pas à même de fournir une réponse, toutefois nous jugeons indispensable d'émettre quelques thèses.

Premièrement, il convient de relever qu'un des traits les plus importants caractérisant la division du monde moderne réside dans l'inadéquation des mesures économiques traditionnelles prises pour régler les problèmes essentiels auxquels la civilisation moderne est confrontée. Les moyens favorisant le développement rapide des systèmes économiques industriels ou le rétablissement de l'intégrité temporairement rompue des sociétés postindustrielles ne sauraient être utilisés pour transformer les premiers en secondes. Le flux abondant d'investissements dans les économies asiatiques a permis aux pays d'Asie du Sud-Est de créer des productions industrielles hautement performantes et de connaître une expansion sans précédent sur les marchés des articles d'usage courant. Les mesures prises dans le cadre du “Plan Marshall” ont permis aux pays européens ruinés par la guerre de faire une percée vers le modèle postindustriel de développement, modèle pour lequel ils étaient préalablement très prédisposés. Toutefois, les investissements, même massifs, ou l'encouragement de l'épargne intérieure, à même de stabiliser la situation en cas de crise économique, ne peuvent assurer le passage d'une nation quelconque à un nouveau degré du progrès social. A notre avis, la chose est devenue particulièrement évidente ces dernières années; il importe de prendre conscience de cette circonstance aujourd'hui, quand le monde occidental, constatant les échecs patents dans la construction d'un modèle copiant ses principes en Asie, en Amérique latine et en Europe orientale, tente d'arrêter les processus de crise et de ramener ces pays dans l'ancienne voie de développement au moyen d'investissements complémentaires dans des systèmes économiques qui, seuls, ne pourront jamais devenir l'arène de la transformation postéconomique. Nous estimons que de telles tentatives aujourd'hui sont extrêmement nuisibles parce que: premièrement, elles entretiennent chez les puissances occidentales l'illusion qu'il est possible de régler les nouveaux problèmes en recourant aux anciennes méthodes; deuxièmement, elles reproduisent dans les pays émergents le modèle fondé sur la supposition qu'une telle aide peut être perpétuelle; troisièmement, elles réduisent les possibilités des Etats occidentaux quant à la solution de leurs propres problèmes intérieurs qui, certes, peuvent sembler insignifiants au regard des catastrophes économiques qui se produisent dans le reste du monde, mais qui en aucun cas ne doivent sortir du champ de vision.

Deuxièmement, le comportement des pays du tiers monde a nettement tendance à devenir de plus en plus imprévisible. Les processus de crise qui y apparaissent et qui dans la plupart des cas ont pour origine la politique de ces Etats souverains, appliquée (pas toujours, tant s'en faut, dans l'intérêt de la nation) par leurs dirigeants incompétents, sont de plus en plus fréquemment présentés comme le résultat d'erreurs commises par le monde occidental qui impose à ces pays son propre modèle de progrès économique. Plus douloureuses sont les mesures appelées à régler ces problèmes et plus grande sera la tentation d'incomber la responsabilité de leur application aux forces qui se trouvent au-delà des frontières nationales. Il n'est pas exclu qu'au cours des décennies à venir le monde occidental devienne pour ces pays, dans lesquels il a engagé de substantiels investissements et ressources matérielles, la cible non seulement de critiques et de dénigrements, mais encore d'actions hostiles aussi bien politiques que militaires. Aussi étrange cela soit-il, une certaine analogie, que les hommes politiques occidentaux devraient avoir continuellement en vue, est présentée dans ce cas par l'exemple de l'Union Soviétique et de la Russie, qui pendant plusieurs dizaines d'années ont mené une politique consistant à implanter leurs propres modèles économique et politique aussi bien dans les territoires périphériques de l'empire soviétique que dans plusieurs régions du monde. Cela a eu pour corollaire une surtension des forces de la nation, qui a saigné le pays et réduit son potentiel économique; qui plus est, comme on peut l'observer aujourd'hui, pratiquement tous les anciens alliés de la Russie lui ont tourné le dos et nombre d'ex-républiques soviétiques appliquent vis-à-vis d'elle une politique hostile à bien des égards. Quant aux déclarations amicales, elles n'émanent que de pays que toute nation civilisée aurait honte d'avoir pour alliés. Mais n'est-ce pas en direction des puissances occidentales que de nombreux pays émergents, anciens satellites de l'URSS, ont tourné leurs regards? Et n'auraient-ils pas une réaction identique si jamais l'assistance financière et technique, que parfois le monde postindustriel leur accorde trop généreusement, cessait sur-lechamp? Cela signifie-t-il que les Etats développés doivent éternellement sponsoriser le monde retardataire uniquement pour entretenir des relations régulières avec lui? Toutes ces questions, auxquelles il faut donner une réponse, pouvaient être ignorées voici quelques années, lorsque les experts attendaient une croissance économique synchrone - la première depuis la période d'avant-guerre - dans toutes les régions du monde; mais aujourd'hui elles passent au premier plan, c'est incontestable.

Dans ces conditions, et cela peut être relevé en tant que troisième circonstance, la solution préférable serait d'accroître l'aide financière et économique ainsi que les investissements, mais seulement après avoir pris de sévères mesures d'intégration des pays concernés dans la structure du monde occidental, mesures permettant de transmettre à certains organismes supranationaux une partie des droits souverains de ces Etats et d'exercer un contrôle sur la politique qu'ils appliquent. Bien qu'au premier abord une telle proposition puisse sembler par trop radicale, elle est néanmoins mise en oeuvre de nos jours (et ce avec suffisamment d'efficacité) dans l'Ancien Monde, où l'Union européenne a l'intention, dans la première décennie du siècle prochain, d'étendre considérablement ses frontières à l'est. Dans le cas présent nous voyons un exemple sans précédent montrant comment des Etats se distinguant foncièrement les uns des autres en vertu de moult facteurs ethniques, religieux et culturels, constituent une stmcture unique, dont les objectifs fondamentaux, de même que les méthodes appelées à les matérialiser, correspondent aux principes de l'ordre postéconomique. Dans ces conditions nous nous risquons à supposer que les perspectives économiques et sociales des pays d'Europe orientale, intégrés dans l'UE, sont bien plus prometteuses que celles des “dragons” asiatiques qui se sont soi-disant développés au fil de plusieurs décennies, et qu'une politique d'investissements bien pensée aura pour l'ensemble du continent des retombées bien plus palpables que les injections financières dans l'économie vacillante de l'Asie, de l'Amérique latine et de l'ancienne Union Soviétique.

Cependant, quel que soit le danger émanant de l'instabilité économique de régions du monde, aussi préoccupant le problème écologique soit-il et, enfin, quelle que soit l'hostilité suscitée dans le monde par les actions (pas toujours erronées) menées par les pays occidentaux, à nos yeux le problème essentiel se situe ailleurs. En qualité de quatrième thèse, il faut relever que c'est au sein même de l'Occident que réside une très grave menace de déstabilisation de l'ordre mondial contemporain. Aujourd'hui, alors que le monde passe du type industriel d'économie à l'informatique, lorsque les connaissances deviennent la principale ressource productive, l'inégalité que cela génère se diffuse à une vitesse toujours plus grande dans le monde, y compris au sein des nations évoluées. Toutefois, si à l'échelle planétaire de tels processus sont visibles (en premier 1.ieu parce qu'il est pratiquement impossible d'influer sur la politique des gouvernements nationaux dont les actions révèlent le degré d'inconsistance économique de leurs pays), dans les nations postindustrielles ils sont bien moins perceptibles, et ce du fait que toute la puissance de l'Etat vise, sinon à éliminer les tendances négatives, tout au moins à en réduire les effets destructeurs. En attendant, il est fort peu probable que l'on puisse longtemps faire front à ce processus objectif. Le volume des moyens à redistribuer pour maintenir l'équilibre social dépasse d'ores et déjà toutes les limites raisonnables, et il continuera de croître au fil des années. Dans cette situation, il est primordial de définir ce qui est plus important: contenir une explosion sociale dans les pays postindustriels ou bien accorder une aide au tiers monde.

La différenciation patrimoniale et statutaire à l'intérieur du monde postindustriel est historiquement et logiquement primaire vis-à-vis de la scission de la civilisation en pays prospères et Etats ayant enregistré un échec dans leur tentative pour se joindre à eux. S'il génère de nombreux aspects positifs, le devenir de la société postéconomique, processus objectif dont le déploiement aujourd'hui n'a pas d'alternative, donne aussi naissance à de nouvelles contradictions sociales à même non seulement de déstabiliser les institutions sociales en place, mais encore de faire obstacle au développement de la société, suscitant ainsi une contre-reaction d'une ampleur telle que tous les événements qui se sont produits après l'avènement des régimes communistes passeront pour de petits zigzags du cheminement de l'humanité. Le conflit qui mûrit à l'heure actuelle au sein des structures sociales postindustrielles présente, pour toute une kyrielle de raisons, un danger bien plus redoutable que la lutte des classes opposant le prolétariat à la bourgeoisie.

Premièrement, le conflit central de la société industrielle avait éclaté autour de la répartition de la richesse matérielle et les positions des parties étaient bien plus déterminées que dans les collisions de nos jours. L'opposition, fondée sur la possession et la privation de la propriété, pouvait être soit éliminée en redistribuant cette dernière, soit atténuée en améliorant la condition matérielle des groupes de population les plus démunis. Aujourd'hui, l'essentiel des ressources assurant la montée du bien-être de la partie économiquement non motivée de la société est constitué par les connaissances et les capacités, choses qui ne peuvent être ni aliénées, ni redistribuées. Cela étant, il est bien évident que l'aide matérielle accordée aux déshérités elle aussi devient inefficace; si auparavant elle offrait à l'individu la possibilité d'améliorer sa condition dans une certaine mesure, aujourd'hui c'est peu probable; l'aide à l'instmction est extrêmement compliquée et ne peut avoir d'effet dans le meilleur des cas qu'au bout de plusieurs décennies et même de plusieurs générations. Aussi la stratification sociale et le conflit qui l'accompagne peuvent s'avérer plus difficiles à éradi-quer que les problèmes sociaux de la société bourgeoise.

Deuxièmement, la nature du nouveau conflit est absolument inexplorée. Il est bien évident que présentement la plus grande partie de la richesse sociale est redistribuée au profit des gens possédant un haut niveau d'instruction, qui soit sont employés dans des compagnies concevant ou utilisant des technologies de pointe, soit mènent une activité où interviennent informations et connaissances. Il est significatif qu'ils ont entamé leur vie dans l'aisance ou bien accédé à un niveau de vie élevé à la force du poignet, mais d'une manière ou d'une autre les facteurs matériels jouent désormais un rôle secondaire dans leurs activités. Nous avons abordé ce phénomène comme condition du dépassement de l'exploitation, et ce changement du choix des valeurs est effectivement un des plus grands acquis de la transformation postéconomique. Dans le même temps, la classe accablée de la société n'a pas assimilé - elle n'en avait pas la possibilité - les valeurs postmatérialistes; ses représentants cherchent à pleinement bénéficier des résultats économiques et dans le même temps (et seulement en vertu de cela) ils sont soumis à une exploitation digne des “meilleures traditions” de l'époque industrielle. Partant, au niveau purement psychologique naît un phénomène distinguant fort la stratification sociale actuelle du conflit social de la société capitaliste: si à l'époque la plus grande partie de la richesse sociale était distribuée au profit de la bourgeoisie, dont le caractère économique des intérêts ne pouvait pas être mis en doute, aujourd'hui elle est accaparée par les technocrates pour qui les choix matérialistes ne sont pas aussi importants. L'aspiration à acquérir la richesse matérielle s'observe chez ceux qui ne le peuvent pas tandis que ses véritables propriétaires ne considèrent pas sa croissance comme un but. La spirale qui se déploie dans cette direction est à même d'initier une réaction d'une brusquerie extrême de la part de l'élément économique de la société.

Troisièmement, dans le contexte du régime bourgeois la confrontation des classes, comme le montre l'histoire, a été maximale à l'étape de son devenir. Ce sont précisément l'accumulation du capital et la formation de l'assise technique qui ont généré l'exploitation éhontée du prolétariat, provoquant les mouvements les plus radicaux de la classe opprimée. Par la suite, à partir du milieu du siècle dernier et pratiquement jusqu'aux dernières décennies du siècle actuel, exception faite de quelques périodes telles que la Grande dépression de 1929-1932, le niveau de vie de la classe ouvrière n'a cessé de grimper, et l'écart patrimonial entre les groupes les plus riches et les plus pauvres s'est réduit. C'est la raison pour laquelle on pouvait affirmer avec juste raison qu'à partir du début des années 30 dans la plupart des puissances occidentales le facteur de classe a cessé d'être une menace pour l'ordre industriel. De nos jours une autre tendance prend corps. On voit se former la société postéconomique mue en premier lieu par les aspirations nouvelles, non matérielles, de ceux qui sont sortis du cadre des motivations économiques, et son développement s'accélère au fur et à mesure que ce groupe s'étoffe au sein de la société. De ce point de vue, la condition du succès du nouveau régime est peut-être le devenir plus rapide de la classe qui a pour choix les valeurs postéconomiques. Toutefois cela conduit simultanément à une détérioration de la condition matérielle et à une prise de conscience douloureuse de la classe la plus démunie; aujourd'hui nous ne voyons pas dans le mécanisme de développement de la société postéconomique de moyens réels de surmonter le conflit de classe qui a surgi.

Qui plus est, et cela peut être examiné en qualité de quatrième circonstance importante, il se forme la classe supérieure de la société postéconomique, faisant encore preuve d'une certaine loyauté vis-avis du pouvoir traditionnel, mais qui de par sa nature est hostile aux institutions de l'Etat moderne et qui incarne les méthodes de gestion sociale et de régulation économique propres à la société de type économique. Cette circonstance elle aussi peut compliquer la genèse des fondements du nouveau type de société étant donné que, d'un côté, il est parfaitement évident que dans les conditions modernes le rôle de l'Etat ne saurait être réduit de manière substantielle, et, de l'autre, aussi bien les principes d'organisation du nouveau système de gestion que les méthodes d'action sur les classes et groupes sociaux, mus par les nouvelles motivations, restent flous.

En vertu de cela, nous estimons qu'aujourd'hui le seul moyen de résoudre cette contradiction et de susciter son exacerbation maximale en levant les obstacles qui gênent le progrès technologique et en tolérant la polarisation naturelle de la société, qui divise celle-ci en “knowledge-class”, d'un côté, et son reste, de l'autre. En maintenant une aide publique minimale, adressée aux groupes qui pour des raisons objectives sont incapables de prendre part à la production sociale, il convient de faire en sorte que le plus grand nombre possible de gens puissent avoir accès à un enseignement normal et de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour affirmer l'instruction et le talent en qualité de source fondamentale du succès de la personnalité. Cela ne devrait pas susciter de complications du moment que la compréhension du fait que le succès matériel, auquel aspire la plus grande partie de la société, n'est obtenue qu'en passant par l'épanouissement des capacités individuelles, et qu'elle se matérialise en permanence, au fur et à mesure de l'assimilation des nouveaux principes d'organisation sociale). L'accession de la “knowledge-class” à un nouveau degré d'aisance et d'influence doivent modifier définitivement les principes de leurs motivations, ce qui serait pratiquement impossible si le pouvoir économique appartenait à la bourgeoisie traditionnelle. Si à ce moment-là la plus grande partie de la société est consciente du changement de la situation sociale, ses couches supérieures cesseront de percevoir les revendications émanant de la base comme contredisant leurs objectifs (premièrement parce que ces objectifs ne seront pas purement économiques et, deuxièmement, parce que les desiderata des autres membres de la société n'auront plus comme teneur essentielle des revendications de compensations métérielles). Nous supposons que l'issue de la situation actuelle ne peut être qu'évolutive; l'Etat doit dès aujourd'hui réunir toutes les conditions pour accélérer la “knowledge-class révolution” et être prêt, si jamais des situations conflictuelles éclatent du fait de mouvements sociaux de la “ubderclass”, moins à faire des concessions qu'à appliquer résolument la politique choisie car elle seule est à même aujourd'hui d'accroître rapidement la richesse sociale, qui contribuera finalement d'une manière ou d'une autre à la genèse des fondements de la société postéconomique.

L'instabilité de la situation actuelle ne saurait ne pas être le prélude de la formation du nouvel ordre mondial stable, de la nouvelle civilisation dont nous ignorons toujours quels seront ses principes essentiels. C'est la raison pour laquelle nous estimons que la prochaine décennie sera celle où seront jetés les fondements de la nouvelle théorie sociologique tournée vers l'avenir, quand les chercheurs seront affranchis des pesanteurs du passé et des fétiches du moment et quand les forces essentielles se mettront à étudier d'abord les tendances incarnant le début de la réalité nouvelle, et ensuite les éléments structurels de la société postéconomique. A cet égard, la tâche de la théorie futu-rologique est aujourd'hui bien plus compliquée qu'il y a trente ans. Si les prophètes de la théorie du “postindustrialisme” fondaient leurs conceptions sur des facteurs soigneusement synthétisés, confirmant des tendances formées dans les pays évolués dans la première période de l'après-guerre, marquée par la très grande stabilité extérieure et intérieure du monde occidental, actuellement les chercheurs se doivent d'étudier des phénomènes caractérisant une époque commençant après 1973 et constituant pratiquement une chaîne ininterrompue de crises et de secousses, de procéder à une systématisation rigoureuse d'éléments extrêmement complexe. D'autre part, dans le premier cas les erreurs qui auraient pu être commises dans l'estimation des perspectives du développement de la civilisation n'auraient probablement pas été fatales du moment que différents blocs existaient à l'échelle mondiale, que certaines régions de la planète possédaient des systèmes économiques relativement indépendants les uns des autres et que l'économie mondiale prise dans son ensemble, bien que soumise à des crises cycliques, se caractérisait par un haut degré d'autorégulation. De nos jours la situation est foncièrement différente: le monde monopolaire se forme impétueusement, le fossé entre certaines régions se creuse rapidement tandis que l'imprévisibilité des processus économiques ne surpasse que l'imprévisibilité des évaluations de ces derniers par les économistes et les sociologues. C'est pourquoi la création d'une conception finalisée des changements en cours et, dans le plus long terme, d'une conception finalisée du nouvel ordre social, est aujourd'hui plus actuelle que jamais.