Реферат: Stendhal

Stendhal

sur le choix des moyens. Le premier commandement c'est d'accepter, les yeux fermйs, la rиgle du jeu, et il est caractйristique que Stendhal et Balzac utilisent exactement la mкme image pour en montrer la nйcessitй.


Quand la duchesse Sanseverina veut expliquer а son neveu Fabrice l'attitude qu'il doit observer pour gravir les йchelons dans "le parti de l'Eglise", elle a ces mots : "Crois ou ne crois pas а ce qu'on t'enseignera, mais ne fais jamais aucune objection. Figure-toi qu'on t'enseigne les jeux du whist. Est-ce que tu ferais des objections aux rиgles du whist ?"

Exactement de la mкme maniиre chez Balzac, Vautrin incite son protйgй Rastignac, s'il veut faire fortune, а respecter scrupuleusement les lois mises en place par le pouvoir йtabli. "Quand vous vous asseyez а une table de bouillotte, en discutez-vous les conditions ? Les rиgles sont lа, vous les acceptez..." Cet "ennemi de la sociйtй" n'est pas insensible aux vertus du conformisme. Aussi finira-t-il chef de la Sыretй. Comme le personnage rйel dont s'est inspirй Balzac, c'est-а-dire Franзois Eugиne Vidocq, ancien bagnard, qui devint le chef de la police parisienne.

Comme le dit Vautrin, ce moraliste lucide qui sait de quoi il parle : "l'honnкtetй ne sert а rien."

C'est ici que le hйros de Stendhal se sйpare du hйros de Balzac. Dans ce siиcle d'ambitieux forcenйs - presque tous les personnages de premier plan de La Comйdie humaine le sont - il occupe une place singuliиre. Ni Fabrice, ni Lucien Leuwen ne sont des ambitieux. Et si Julien Sorel l'est un moment, il ne s'agit pas en ce qui le concerne d'une ambition ordinaire. C'est "une jeune pauvre et qui n'est ambitieux que parce que la dйlicatesse de son coeur lui fait un besoin de quelques-unes des jouissances que donne l'argent". Il s'agit davantage chez lui d'une rйvolte de l'orgueil, d'un rйflexe d'autodйfense pour йchapper а l'humiliation puis d'une rиgle de conduite que faisant violence а ses sentiments profonds il s'est fixйe pour se prouver а lui-mкme ses mйrites malgrй le handicap de>

Comme les hйros du Rouge et de la Chartreuse, les Rastignac et les Rubemprй jugent sans illusion cette jungle sociale oщ, selon Balzac, rиgne "la toute-puissante piиce de cent sous", et oщ selon Stendhal "la condamnation а mort est la seule chose qui ne s'achиte pas". Mais aprиs avoir versй quelques larmes, Rastignac choisit а sa maniиre de se diriger vers les hauteurs. Il se jure de "parvenir, parvenir а tout prix!", car il ne veut pas finir dans les rangs des vaincus.

Voilа pourquoi au contact de la vie parisienne il enterre avec Le Pиre Goriot les enthousiasmes gйnйreux et les derniers scrupules de sa jeunesse. Le dйfi fameux qu'il lance alors а Paris marque le terme de la rйvolte morale et en un sens le commencement de la rйsignation. L'honnкtetй ne paie pas en effet. Dйsormais la rиgle du jeu est acceptйe, et avec elle la lйgitimitй de l'ordre bourgeois. Il s'agit de pйnйtrer dans le monde des privilиges et de se tailler un fief а sa mesure. Peu importent les moyens, que l'on doive son succиs, comme Rastignac, aux faveurs de la femme d'un banquier ou, comme Rubemprй, а l'amitiй йquivoque d'une canaille йvadйe du bagne. L'essentiel est de participer au "mouvement ascensionnel de l'argent" et d'arriver, mкme si on doit pour cela йcraser les plus faibles et flatter les puissants, trahir les amitiйs, laisser condamner les innocents, йtouffer en soi tout sentiment humain. C'est le prix de la rйussite.

Tout autre est l'attitude de Julien Sorel.

Si Julien dйcide de se vouer au machiavйlisme politique pour conquйrir les conditions matйrielles nйcessaires selon lui au dйveloppement de "l'homme libre", il refuse en fait de jouer le jeu, et sa sensibilitй l'emporte а tout moment sur sa volontй d'hypocrisie.

Au demeurant Stendhal ne veut pas qu'on s'y trompe. Au dйnouement du Rouge, l'auteur, comme le choeur dans les tragйdies antiques, intervient pour tirer la morale de l'histoire et prendre la dйfense de son hйros : "Il йtait encore bien jeune, mais, suivant moi, ce fut une belle plante. Au lieu de marcher du tendre au rusй comme la plupart des hommes, l'вge leur eыt donnй la bontй facile а s'attendrir, il se fыt guйri d'une mйfiance folle ... Mais а quoi bon ces vaines prйdictions."


"Au lieu de marcher du tendre au rusй", comme Rastignac, comme tous les ambitieux forcenйs de ce temps... Mais Julien Sorel n'est pas de cette lignйe. Ce dont il a besoin avant tout c'est de sa propre considйration, fidиle en cela а une devise chиre а Stendhal : "Se f... complиtement de tout, exceptй de sa propre estime." L'homme qu'il admire le plus, c'est Altamira, le conspirateur йpris de justice sociale et pour lequel il n'est qu'une morale, celle de l'utilitй. Telle est йgalement dans les conditions particuliиres de leur classe, alors que toutes les fйes se sont penchйes sur leur berceau, l'attitude de Lucien et de Fabrice, comblйs par le sort, mais qui se rйvиlent des "inadaptйs" en ce sens qu'ils refusent d'entrer dans le jeu, de jouir sans remords de leurs privilиges et qu'ils jugent l'ordre social avec le mкme mйpris lucide que le hйros du Rouge et Noir.

Au dйnouement, devant les jurйs qui vont le condamner а mort, il se prйsente une fois de plus comme le "plйbйien rйvoltй" et prononce contre cette justice de classe, dont la fonction est moins de frapper le crime que la rйvolte devant l'ordre bourgeois, un rйquisitoire passionnй :

"Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir а votre>

Ce texte, souvent citй, que Stendhal йcrivit dans les derniиres annйes de sa vie, semble bien exprimer sa pensйe profonde qu'il livre sans complaisance. Rien ne lui fait plus horreur que l'hypocrisie, et il ne veut pas se montrer meilleur qu'il n'est. D'oщ cette brutalitй dans la franchise qui, au lieu de chercher а arrondir les angles, le conduit а accentuer le trait par un goыt du scandale qui se confond avec celui de la vйritй.

S'agissant du peuple, il nous livre le fruit de ses rйflexions avec un rien de provocation qui cache sans doute une rйvolte profonde devant l'injustice de l'humaine condition. Oui, il dйsire passionnйment le bonheur du peuple, mais ce serait un supplice de tous les instants que de vivre avec lui. Amer constat d'impuissance mais pourquoi jeter les belles вmes et farder la vйritй ? Oui, il prйfиre la compagnie de ceux qui aiment la musique de Mozart et les tragйdies de Shakesperare. Comme le dit un de ses hйros : "Vivre sans conversation piquante est-ce une vie heureuse ?"

Non qu'il accepte l'injustice sociale et se range du cфtй des>

Mais d'abord, il faut se souvenir de ce qu'est le peuple au dйbut du XIXe siиcle, la misиre а laquelle il est rйduit, l'йducation dont il est privй, ses intolйrables conditions de vie, sa vulnйrabilitй а la maladie, l'alcoolisme, l'insalubritй de l'habitat ouvrier. Telle est la terrible rйalitй du moment. Le peuple est alors proche de la vision qu'en donne Hugo dans Les Misйrables ou Eugиne Sue dans Les Mystиres de Paris.

Voici par exemple comment un historien йvoque la vie des ouvriers sous Napolйon : "La durйe du travail quotidien dйpasse dix heures; elle va de cinq heures du matin а sept heures du soir en йtй et de six heures du matin а six heures du soir en hiver, avec deux heures de repas...L'ouvrier est dйsarmй devant le patron : interdiction des compagnonnages et des coalitions, obligation du livret ... C'est а l'вge de douze ans ou quatorze ans que l'on entre а l'atelier, mais dиs sept ans certains enfants sont employйs dans les fabriques а dйvider la laine et le coton. Autant dire que l'instruction est quasi inexistante, la frйquentation d'une йcole impossible ... La combativitй n'est pas trиs dйveloppйe, la conscience de>

Stendhal a conscience а la fois de l'injustice faite au peuple et de sa propre impuissance а changer cette situation. D'oщ son repli sur les "happy few". Ce qui n'empкche pas dans son oeuvre, l'йcrivain de prendre parti, et dans Le Rouge et le Noir de tйmoigner pour "cette>

Mais les "happy few", je l'ai dйjа notй, ne se recrutent pas seulement dans les couches sociales privilйgiйes ou mкme parmi ceux, comme Julien, qui ont eu "le bonheur de se procurer une bonne йducation". La vйritable noblesse pour Stendhal c'est celle du coeur. Quel est, dans sa jeunesse, l'homme pour lequel il йprouve le plus d'estime ? C'est le valet de chambre de son grand-pиre.

Le Grenoblois qui lui paraоt le plus noble ? Un ancien laquais. Avec qui se lie d'amitiй le jeune Fabrice au chвteau de Grianta ? Avec les hommes d'йcurie. Qui est Ferrante Palla, conspirateur et voleur de grand chemin ? "L'homme sublime" de La Chartreuse.

Et lorsque Stendhal dйclare abhorrer ce que l'on appelle de son temps "la canaille", ce jugement est singuliиrement tempйrй par l'admiration qu'il йprouve pendant les trois Glorieuses pour le courage et la grandeur du peuple, "hйroпque et plein de la plus noble gйnйrositй aprиs la bataille".

Quelles que soient les diffйrences de gйnie, de tempйrament, de vocation entre le dilettante de la chasse au bonheur et un philosophe comme Karl Marx, on ne peut qu'кtre frappй - et je l'ai йtй depuis longtemps - par la similitude de l'analyse de la monarchie de Juillet et que l'on retrouve dans le Lucien Leuwen d'Henri Beyle, et Les Luttes de classes en France de Karl Marx.



L'horreur du "vague" chez Stendhal nous vaut une analyse singuliиrement prйcise de la monarchie de Juillet. Lucien Leuwen est une des plus violentes critiques, faite par un romancier, de la sociйtй dominйe par l'argent.

Il s'agit d'une sociйtй dйterminйe, dominйe par l'aristocratie financiиre а une йpoque elle-mкme dйterminйe, celle de Louis-Philippe et de l'hйgйmonie de cette fraction de la bourgeoisie franзaise dont parle Marx.

Laffitte c'est le banquier Leuwen, pиre du hйros.

Il est admirable que Stendhal, dans un roman, ait йtй amenй а dйcrire avec autant d'exactitude la nature et les moyens du pouvoir : а la tкte de l'Etat, la Banque, "cette nouvelle noblesse gagnйe en йcrasant ou en escamotant la rйvolution de Juillet". La Banque qui a mis sur le trфne celui que le romancier appelle non pas Robert Macaire, comme Karl Marx, mais ce qui revient au mкme dans son langage codй "le plus fripon des kings".

Les ministres qui acceptent de protйger le fils d'un banquier parce qu'ils spйculent а la Bourse, et qu'un "ministиre ne peut dйfaire la Bourse mais [que] la Bourse peut dйfaire un ministиre". Les prйfets qui fabriquent les йlections sans gloire - facilitйes par le rйgime censitaire - malgrй une distribution judicieuse des pots-de-vin, des dйbits de tabac et des annйes de prison. La police -ou plutфt les polices - dont le souci "est de veiller а ce que trop d'intimitй ne s'йtablisse entre les soldats et les citoyens" et qui de temps en temps fait assassiner un soldat par des provocateurs vкtus en ouvriers (l'incident Kortis qui met en scиne un agent du pouvoir blessй par une sentinelle qu'il voulait dйsarmer est historique). La religion que le gouvernement des banquiers libres-penseurs autant que celui de la Restauration bien-pensante rйvиre, parce qu'elle est "le plus ferme appui du gouvernement despotique". L'armйe dont la fonction n'est pas de dйfendre la patrie mais de "sabrer les tisserands et pour qui l'expйdition de la rue Transnonain est la bataille de Marengo".

Il ne s'agit mкme plus d'un coup de pistolet au milieu d'un concert mais d'un concert de coups de pistolet, d'un feu roulant de mousqueterie sur la monarchie de Juillet, ses bailleurs de fonds, ses courtisans et ses policiers.

Alors que va devenir le hйros stendhalien dans ce bourbier ? Comment va-t-il s'y prendre pour aller а la chasse au bonheur ?

Prenons l'exemple de Lucien Leuwen.

Comme l'a notй Jean Prйvost, il est nй